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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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misère…
    D’ailleurs, laissant la rue aux pauvres, lesquels se contentaient de porter des sandales de chanvre ou des chaussons de tissu lorsqu’ils n’étaient pas obligés de marcher pieds nus, les gens riches, reconnaissables à leurs chaussures de cuir, selon la mode occidentale, ou à leurs bottines de feutre gainées de soie, ne s’y trompaient pas : ils circulaient toujours en palanquin…
    Barbara, effarée, avait découvert la terrible loi de la jungle qui sévit dans les sociétés pauvres où chacun se venge sur plus faible que lui des avanies que les plus forts lui font subir. La société chinoise, à cet égard, était bien loin derrière la société anglaise et, vue de Canton, Londres, où les rixes, certains soirs, pouvaient laisser plusieurs dizaines de corps ensanglantés et de cadavres sur le carreau, lui paraissait un havre de paix et de bien-être…
    Elle regarda avec tendresse Laura aider Joe à descendre les marches du perron de la résidence consulaire. Ses deux enfants se comprenaient à demi-mot. Laura parlait à son frère dans un langage qu’ils étaient les seuls à comprendre, le seul langage dont Joe arrivait, malgré son handicap, à maîtriser des bribes. Plus encore que Barbara, Laura était le lien de Joe avec l’extérieur.
    Elle essuya furtivement la larme qu’elle sentait affleurer au coin de son œil.
    Si Laura était sa consolation, Joe était sa raison de se battre pour un meilleur monde terrestre.
     
    *
    *   *
     
    Arrivé sur la pelouse du parc du consulat britannique, le jeune trisomique, excité comme une puce et que sa sœur retenait tant bien que mal par la ceinture, se précipita vers les jardiniers qui s’affairaient, torse nu, sous les ordres d’un garde-chiourme muni d’un long bâton. L’homme en question, doté d’une musculature impressionnante, n’hésitait pas à en user pour punir la moindre faute ou accélérer la cadence.
    Les coups pleuvaient sur les dos courbés de ces hommes, ainsi que sur leurs mollets. Les uns taillaient les arbres ou arrosaient les jarres de bronze dans lesquelles surnageaient des nénuphars et des lotus ; d’autres, accroupis à même le sol, égalisaient les tiges d’herbe de la pelouse avec de minuscules ciseaux à barbe ; un peu plus loin, un autre, d’âge mûr, consolidait avec des précautions infinies une sorte d’immense béquille formée par des bambous assemblés sur laquelle était appuyé le tronc noueux d’un pin plusieurs fois centenaire qui ressemblait à une très vieille divinité claudiquante.
    Ici, les plantes étaient bien mieux traitées que les êtres humains…
    Laura était aussi choquée par les coups de bâton du chef jardinier, qui pleuvaient comme des hallebardes sur les épaules décharnées et rougies de ses hommes, que par la soumission dont faisaient preuve ceux qui les recevaient.
    Comme tous les Chinois d’origine Han depuis l’invasion de leur pays par la dynastie mongole des Qing, les jardiniers du consulat portaient la natte et avaient le crâne entièrement rasé.
    Dès son premier contact avec la Chine, Laura Clearstone avait été frappée par l’usage d’une coiffure si peu pratique qui obligeait les Chinois à se raser la tête presque tous les jours… tout en prenant soin de préserver ce long appendice capillaire.
    Elle avait fini par en comprendre la raison d’être lorsqu’elle avait vu des policiers attraper des hommes et des enfants en un tournemain par leur natte, ce qui les faisait aussitôt grimacer de douleur. Pour les Han, la natte n’était rien d’autre qu’une laisse dont les Jürchen de Mandchourie {17}   avaient rendu le port obligatoire - sous peine de mort   ! - dès 1645, soit dix ans à peine après leur arrivée au pouvoir… Les condamnés à la décapitation - la forme de peine capitale considérée comme la moins cruelle, le condamné ne souffrant que quelques instants - étaient également tenus par leur natte lorsque la machette du bourreau s’abattait sur leur nuque.
    Dans une société chinoise qui n’en finissait pas de se décomposer, les longs cheveux tressés aidaient cet implacable envahisseur à asseoir son contrôle sur une population cinquante fois plus nombreuse que lui…
    Joe, auquel l’atmosphère du parc de la résidence du consul convenait bien mieux que celle de ses salons, ne savait plus où donner de la tête. Après avoir, sous le regard plutôt désapprobateur du garde-chiourme, plongé la main dans un petit

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