La guerre de l'opium
années plus tard, le vieux loup parti, Jardine trouva une oreille bien plus attentive chez lord Palmerston… puisqu’il n’hésita pas à déclencher la guerre de l’opium !
— Heureusement ! Avec la pâtée que l’Angleterre leur a mis, les Chinois ont commencé à filer doux ! Dire qu’ils prétendaient nous dicter notre conduite ! s’écria l’un des convives sur un ton offusqué.
C’est alors qu’une voix féminine s’éleva au sein de cette assistance, composée pour l’essentiel de citoyens britanniques qu’un revers de fortune ou tout simplement l’appât du gain avait conduits à tenter leur chance en Chine sans pour autant douter un seul instant de la supériorité de leur pays d’origine sur le reste de la planète :
— Mais ne trouvez-vous pas choquant que votre bien-aimée reine Victoria favorise ainsi la propagation d’un poison auprès d’une population qui ne lui a rien fait de mal ?
La remarque, formulée sur un ton plutôt aigre, jeta un froid et chacun entreprit aussitôt de dévisager avec curiosité la créature qui avait osé poser une question aussi déplacée.
Elle était due à une femme d’aspect revêche, plutôt menue et entièrement vêtue de noir. Ses yeux d’aspect fiévreux, qui scintillaient dans des orbites bleuâtres profondément enfoncées au milieu d’un visage extrêmement pâle et aux traits émaciés, témoignaient d’un caractère pour le moins exalté.
— Du poison ! Et d’abord qui êtes-vous, madame, pour employer ce bien grand mot ?
Minaudant presque et pas impressionnée pour deux sous par la question acerbe du douanier, la créature en question désigna l’homme à la haute stature auprès duquel elle se tenait.
— Je m’appelle Mélanie Bambridge, mon métier consiste à assister dans son apostolat le révérend Issachar Jacox Roberts !
— Je dois vous préciser que nous sommes de religion baptiste, Mlle Bambridge et moi-même… ajouta l’homme.
La sévérité de sa face carrée et osseuse, prolongée par le long fleuve de poils d’une barbe poivre et sel dont l’extrémité recouvrait une bonne moitié de sa poitrine, était aggravée par l’austère habit de clergyman dont il était vêtu.
— J’appartiens également à l’Église presbytérienne ! D’où venez-vous ? Peut-être sommes-nous originaires de la même région ? s’écria alors une des femmes présentes autour de la table.
— Je suis américain du Nord ! Plus précisément de l’État du Tennessee, comté de Sumner. Cela fait six ans que je suis arrivé en Chine, dans le but d’évangéliser son peuple. Malheur à ceux qui persécutent les pauvres ! Il n’est jamais trop tard pour se convertir, les portes de la maison du Seigneur sont toujours grandes ouvertes ! J’accueillerai volontiers au temple toutes celles et tous ceux d’entre vous qui le souhaitent…
Les paroles évangéliques et apaisantes de ce missionnaire presbytérien à la voix de basse - une voix d’outre-tombe ! - tranchaient singulièrement avec les diatribes antichinoises qu’elle avait entendues jusqu’ici, et firent à Barbara Clearstone l’effet d’un baume au cœur.
— Pour ce qui me concerne, je suis née dans l’État du Mississippi ! crut bon de préciser l’assistante de Roberts.
— Cet homme de foi dit vrai ! Le trafic d’opium auquel se livrent certains de nos compatriotes dans ce pays où les gens sont si misérables a quelque chose de particulièrement révoltant… souffla l’épouse de Brandon à son mari qui lui pinça le bras pour faire taire l’impudente.
Ce n’était vraiment pas le moment de créer un esclandre chez le consul Elliott…
— Remarquez, peut-être la reine Victoria n’est-elle pas au courant des ravages précis de cette drogue sur le cerveau humain. La pauvre femme, si elle savait ! Comme tous les souverains, elle vit isolée du reste du monde… A ce propos, une anecdote que vous devez tous ignorer : savez-vous que Lin Zexu, à l’époque où il était vice-roi de Canton, adressa à la reine Victoria une lettre qu’elle ne reçut jamais, où il lui demandait de faire cesser les importations d’opium, un produit dont il savait qu’il était interdit en Grande-Bretagne ? Ce mandarin éclairé y insistait - à juste titre ! - sur le fait que la Chine exportait des produits utiles comme le thé ou la soie vers le reste du monde, alors que
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