La Guerre Des Amoureuses
plusieurs fois échanger des regards, mélange
de stupéfaction et de satisfaction.
— Cette proposition de monseigneur de
Guise ne pouvait pas mieux tomber, déclara le marquis d’O, quand il eut terminé.
Si une entrevue a effectivement lieu entre madame la Reine Mère et Navarre, Sa
Majesté souhaite savoir ce qui se prépare. Monsieur de Richelieu, pensez-vous
que M. Poulain puisse avoir cette charge à l’hôtel du roi ?
— M. Rapin est prévôt de l’hôtel de
la reine mère. Si Sa Majesté signe un brevet par commission, monsieur Poulain
le remplacera sans que j’y voie objection. Cela ne dérangera pas non plus M. Rapin,
car sa charge de lieutenant criminel est très prenante.
— Mais croyez-vous, monsieur, que Mme de Médicis
acceptera que j’entre à son service ? demanda Poulain.
— Si Mme de Montpensier l’exige
comme condition de la trêve, sans doute. Mais la reine mère saura aussi que
vous êtes son espion et se méfiera de vous.
— Que dois-je faire ?
— Pour l’instant, attendre, je verrai le
roi demain après le conseil. D’ici là, vous informerez M. de Richelieu
de tout ce que vous apprendrez, surtout si Mayneville revient.
Poulain se tourna vers Richelieu :
— En quoi consisterait ma charge, monsieur ?
— Vous aurez une compagnie d’archers en
hoqueton sous vos ordres. Vous serez chargé de la police des vivres, du maintien
du bon ordre et du service judiciaire. Vous le savez, ceux qui sont trouvés
commettant des larcins dans le logis du roi sont pendus et étranglés. Vos
jugements en matière criminelle ou de police seront sans appel, mais vous avez
l’habitude de ces attributions.
Le lendemain de la
Fête-Dieu, à l’hôtel de la reine, Catherine de Médicis méditait dans sa chambre
privée, immobile, comme toujours vêtue de noir, avec son éternel bonnet de
velours en pointe sur le front. Un chien dormait à ses pieds. À quelques pas, deux
de ses nains jouaient en silence aux échecs sur le tapis. Ce jour-là n’était
pas un jour comme les autres. C’était la Sainte-Diane.
Chaque année à cette date, la reine mère
songeait à Diane de Poitiers, la maîtresse de son mari Henri II qui l’avait
si longtemps humiliée. Son cœur s’emplissait d’allégresse quand elle se
rappelait la façon dont elle s’était vengée de cette garce quand elle était
devenue régente : Diane avait été exilée et le château de Chenonceaux, qu’elle
aimait tant, lui avait été confisqué. Ce château était désormais le sien. C’est
là qu’elle rencontrerait Navarre. Elle y organiserait une fête grandiose, avec
en clou le spectacle des Gelosi, et Navarre se laisserait envoûter. C’est à
Chenonceaux, avait-elle décidé, qu’elle rendrait son trône à son fils et qu’elle
vaincrait la prophétie de Nostradamus.
Ceci grâce à Diane de Poitiers.
Dans son visage blafard, son expression
changea imperceptiblement et un léger sourire se dessina. Son esprit
vagabondait maintenant vers sa grande entreprise qui se déroulait comme prévu.
Le matin, après la messe, elle avait reçu Mme de Montpensier
qui lui avait dit que son frère accepterait la trêve si, durant le voyage, le
prévôt de son hôtel était un homme qu’il choisirait. Il s’agissait d’un
lieutenant du prévôt d’Île-de-France. Quelqu’un de vertueux, bon catholique et
respecté. Le duc de Guise l’estimait et souhaitait reconnaître son mérite.
La reine avait accepté sans barguigner. Le
prévôt de l’hôtel n’était là que pour régler les problèmes des vivres et des
logements. M. de Bezon se chargeait du maintien de l’ordre, et de
dépister les espions ! Peu importait qui remplaçait Rapin, et ce serait
encore mieux si elle connaissait l’agent de Guise au sein de sa Cour !
Il faudrait pourtant qu’elle se renseigne sur
ce nommé Nicolas Poulain et qu’elle le reçoive, se disait-elle. Peut-être
pourrait-elle en faire un serviteur.
Son regard s’égara vers ses nouvelles
favorites, Marie de Surgères et Hélène de Bacqueville, de toutes jeunes filles
de seize ans à peine, qui chantaient doucement une triste balade, accompagnées
d’un luth. Elles étaient respectivement les filles d’Hélène de Surgères et de
Cassandre Salviati qui s’étaient beaucoup aimées, Hélène ayant même été chassée
de la Cour dix ans plus tôt pour dépravation.
M. de Montaigne devait avoir
transmis ses propositions à Henri de Navarre, songea
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