La Guerre Des Amoureuses
repartit pour Chenonceaux avec
Venetianelli. Olivier n’avait pas échangé un mot avec le comédien. Il s’installa
dans un fauteuil dans la chambre de Mme Sardini et resta à réfléchir. Qu’est-ce
qui l’attachait à cette femme ?
Il n’en était pas amoureux. Cela ne lui avait
pas effleuré l’esprit, et si on le lui avait reproché, cela l’aurait fait rire.
Mais Isabeau était venue lui parler de Cassandre. Elle la connaissait un peu, car
elles avaient vécu ensemble quelques jours. Il prit conscience que c’était pour
ces raisons que cette femme ne lui était pas indifférente.
Que devait-il faire ? Prévenir son mari ?
L’abandonner et se rendre à Chenonceaux ? Après tout, il n’était d’aucune
utilité ici. Mme Sardini avait ses domestiques, son médecin, et elle
aurait même son mari, s’il venait. Pourtant, un je-ne-sais-quoi lui disait qu’il
devait rester et attendre.
Isabeau ouvrit les yeux le lendemain. Elle n’avait
pas mangé depuis qu’elle avait été blessée et le médecin l’avait juste forcée à
boire un peu d’eau. Ce jour-là, elle parvint à avaler quelques cuillères de
bouillon et supplia Olivier de faire venir M. de Bezon.
Il partit pour Chenonceaux le lendemain, accompagné
par Hans. Les chemins n’étaient pas sûrs, et il n’était pas un homme d’armes.
— Mme Sardini est mourante, dit-il
au nain quand il le rencontra au château, mais elle a repris conscience. Elle
demande à vous voir.
Malgré les mises en garde de Catherine de
Médicis, M. de Bezon lui demanda l’autorisation d’aller voir Isabeau.
Ce sera peut-être la dernière fois, lui dit-il.
Curieuse d’en savoir plus, la reine accepta.
Ils repartirent avec six hommes d’armes, car M. de Bezon
était trop grand seigneur pour se déplacer sans escorte.
Toque à aigrette
blanche enfoncée sur la tête, barbe bien peignée, pourpoint de soie couvert de
perles avec une lourde chaîne d’or au cou et son épée à pommeau d’or et de
nacre, le gouverneur des nains de la reine se présenta à l’hôtel Sardini en
grand gentilhomme. Il était parti avec sa troupe à sept heures et ils avaient
chevauché cinq heures durant.
Olivier le conduisit dans la chambre d’Isabeau
tandis que son escorte allait se restaurer dans une auberge de la rue.
M. de Bezon découvrit Mme Sardini
effroyablement amaigrie, la peau parcheminée, tendue, presque transparente sur
les os. Il ôta le fourreau de son épée et s’assit sur le lit, puis défit
délicatement les pansements, alors qu’elle sommeillait. La plaie était rouge, purulente
et sa grimace n’échappa pas à Olivier. Il lui toucha le front, Isabeau était
brûlante.
À cet instant, elle ouvrit les yeux, le
découvrit et eut un faible sourire.
— Je savais que vous viendriez, monsieur
de Bezon, murmura-t-elle.
— Vous allez guérir, Isabeau, affirma-t-il.
— Non… Je l’ai vu, dans mon sommeil… Il
est venu me voir… Il était toujours aussi blond, vif… railleur et résolu… Je
sais que je vais le rejoindre… Pour l’éternité…
Il ne dit rien, inexplicablement ému, car il
était insensible à la compassion. Bezon avait tout connu à la Cour : le
mensonge, le parjure, le crime et la débauche. Il avait toujours été d’une
totale loyauté avec la reine qui l’avait accueilli et traité comme le
gentilhomme qu’il était, malgré sa difformité. Il lui devait tout et lui
obéissait en tout, même s’il n’avait accepté pour elle que ce que sa conscience
lui autorisait, respectant toujours la morale que son père et son oncle lui
avaient inculquée. S’il avait eu du sang sur les mains, cela avait toujours été
dans l’intérêt de l’État. Ou au moins en était-il persuadé.
Chef de la police de la reine, c’est lui qui
avait découvert et dénoncé le tumulte d’Amboise, ce complot visant à
enlever François II. Il n’avait pas frémi quand les centaines de huguenots
avaient été pendus et décapités. La Saint-Barthélemy lui avait fait horreur, mais
il avait approuvé l’assassinat de Coligny, un chef de guerre coupable des plus
atroces violences et qui voulait entraîner la France dans une guerre absurde.
Pourtant, maintenant, pour la première fois, il
s’interrogeait. Il savait que Limeuil devait faire absorber un philtre à
Navarre pour qu’il tombe sous le charme de Christine de Lorraine, et il ne
croyait guère à la réussite de ce projet. En revanche, il avait deviné
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