La guerre des rats(1999)
pendant qu’il baissait le dos.
— Merci, camarade, soupira Danilov.
Zaïtsev se pencha vers lui.
— Qu’est-ce que t’as vu ? Dans quelle direction tu regardais ?
— Je regardais le mur, comme tu me l’avais demandé, répondit Danilov, d’un ton un peu pincé, comme si la question impliquait qu’il aurait pu ne pas suivre convenablement les instructions du Lièvre.
— Oui, bien sûr, fit Zaïtsev d’un ton conciliant. Et qu’est-ce que t’as vu ? Tu l’as vu, tu nous as dit…
— Oui, je l’ai vu, confirma Danilov.
Il leva la main gauche pour que Zaïtsev le remette en position assise, cracha sur le sol, de colère.
— J’ai vu son casque, à ce salopard, grommela-t-il. (De la salive veinée de rouge pendait au menton du commissaire.) Il marchait le long du mur, voilà ce que j’ai vu.
Zaïtsev ne fut pas surpris. Encore la feinte de bleu, hein ? Encore en train d’essayer de me mettre en colère pour me faire réagir. Le truc avait marché, mais sur une proie inattendue. Le Lièvre se tourna vers Koulikov.
— Et toi, Nikolaï, t’as vu quelque chose ? Un éclair, un reflet ?
Koulikov secoua la tête.
— Rien.
Zaïtsev n’avait rien vu non plus. Thorvald avait joué ce premier coup dont le Lièvre avait parlé à Danilov, mais ils n’en avaient retiré en fait d’avantage qu’un commissaire têtu blessé.
— Camarade, avec ta permission, il faut que j’examine ta blessure…
— Non, ça va, fit Danilov d’une voix faible. Je préfère la montrer à un médecin.
— Camarade commissaire, ta blessure peut me donner des indications sur l’endroit où Thorvald est caché.
— Ça fera un peu mal, commenta Koulikov derrière le Lièvre.
Danilov acquiesça d’un hochement de tête raide d’homme soûl.
— Oui. Bien sûr. Vas-y.
Grognant à travers ses dents serrées, il aida Koulikov à déboutonner son manteau, à le rabattre délicatement pour découvrir l’épaule droite. La veste vert océan était boueuse de sang. Zaïtsev découpa le tissu autour de la blessure.
— Bouge pas. Il faut que je la nettoie.
— Fais ce que tu juges nécessaire, dit Danilov, appuyant le dos contre Koulikov.
Un filet rouge coulait de la lèvre inférieure de la plaie. L’épaule charnue du commissaire était couverte de poils noirs. Le Lièvre tailla dans la tunique un carré de tissu avec lequel il essuya le sang. Danilov grimaça.
— Ça sera pas long, murmura Zaïtsev.
L’orifice était net et rond, entouré d’un anneau violet régulier. Signe, selon les leçons du grand-père Andreï, que la balle avait suivi une trajectoire horizontale. Examine le trou, Vasha, disait le vieil homme. La balle laisse une trace sur la peau, comme une patte dans la neige. Thorvald est probablement au niveau du sol. Qu’en penses-tu, Grand-Père ? Difficile de dire de quel côté la poitrine de Danilov était tournée, mais sa blessure nous fournit au moins une indication.
— Tu regardais droit devant toi, n ‘est-ce pas ? demanda Zaïtsev pendant que Koulikov remontait le manteau sur l’épaule du commissaire.
— Mmm, oui, je crois.
— Je suis désolé de ce qui t’arrive.
C’est entièrement ta faute, pensait Zaïtsev, mais pourquoi ajouter l’insulte à la blessure ? Ce n’est pas le moment de lui faire la leçon.
Il essuya le sang de ses mains avec le morceau de tissu. J’aurais jamais dû emmener Danilov. J’aurais dû refuser, même après l’intervention de Tania. Mais elle sait obtenir ce qu’elle veut. Elle le voulait ici, et il est allongé ici. C’est le résultat qu’elle escomptait. Elle a froidement envoyé Danilov au-devant de cette balle, elle m’a soutiré mon accord. Pourquoi ? Pour m’aider à trouver Thorvald ou pour nous débarrasser tous de Danilov ? Dans un cas comme dans l’autre, le commissaire quittera Stalingrad vivant. Il a de la chance. À l’hôpital de campagne, les médecins extrairont la balle logée dans son épaule, et dès que la rivière gèlera, ce sera une balade en traîneau pour toi, commissaire, la traversée jusqu’à Krasnaya Sloboda. Bah ! ceux que les dieux choisissent d’épargner, laisse-les vivre en paix. Le commissaire est peut-être protégé par un essaim d’esprits qui volettent autour de lui.
Koulikov aida Danilov à se mettre debout et les deux hommes s’éloignèrent ensemble, tête baissée, marchant au même rythme, l’un étique, l’autre gras, un jeune garçon avec son poney blessé.
Zaïtsev pensa
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