La guerre des rats(1999)
avait récupéré la tourelle de la mitrailleuse.
Ce n’était cependant pas une cachette digne d’un tireur d’élite expérimenté, surtout s’il avait l’esprit tortueux. Elle ne lui offrait pas de voie de sortie rapide en cas d’attaque d’infanterie ou de bombardement au mortier sur sa position. De plus, elle limitait sa vision du champ de bataille, donc le choix des cibles, et, Thorvald l’avait montré, il aimait choisir ses victimes dans un large éventail.
Zaïtsev porta son regard vers le nord, vers la lisière droite de la zone, concentra son attention sur le mur. Il imagina le Professeur tapi dans sa tanière, appelant son assistant posté derrière le mur : « Mets le casque sur le bâton et marche. Secoue-le comme si tu faisais du pop-corn au-dessus d’un feu de camp. Fais ça si mal que le Lièvre sentira ma main lui gifler la figure ! » Le périscope amena Zaïtsev au bord d’un autre trou d’obus. Non, il n’est pas dans un cratère. Plusieurs tas de décombres recouverts de neige bosselaient le sol du parc comme des piqûres d’insecte. Il n’est pas là non plus. Tout au bout, à droite, il y avait un bunker allemand abandonné, petite casemate de sacs de terre, de blocs de béton et de madriers. Thorvald pouvait-il être là-dedans ? Absolument. Zaïtsev se penchait vers le périscope comme s’il pouvait envoyer ses yeux planer, tels des faucons, au-dessus de l’abri pour en inspecter les traits et lui en rapporter les détails. Comment Thorvald s’approcherait-il de cette cachette ? Comment en sortirait-il ? Quels seraient ses angles de tir ? Non, il n’est pas là-dedans. Comme pour le char immobilisé à l’autre bout du périmètre, Zaïtsev ne pouvait croire que le Professeur choisirait une cachette aussi évidente, tout juste bonne pour un tireur d’élite médiocre. Il orienta le périscope vers le centre du parc, examina les gravats près du mur. Des tas de briques et quelques tôles jonchaient le sol.
Le Lièvre interrompit son inspection pour se demander si la fatigue le gagnait. Cela faisait deux heures maintenant, depuis le départ de Koulikov et Danilov, qu’il regardait dans le périscope. Le soleil s’était hissé à sa position de midi. Zaïtsev vérifia ses mains, ses yeux, ses jambes repliées sous lui, sa concentration. Ne fais de suppositions, ne prends de décisions que si tu as l’esprit parfaitement affûté, se recommanda-t-il. Tu as besoin de repos ? Arrête. Tu dois être en alerte, les oreilles dressées, le nez au vent. Tu te sens bien ? Tu peux continuer ? Bon, alors,
dis-moi : il est dans le char, dans le bunker, dans un cratère de bombe, derrière un tas de briques, dans un bâtiment, derrière le mur ? Tu es sûr, Vassili ? Réponds-moi si tu es sûr. C’est seulement ton instinct ou tu es sûr ? Dis-moi.
Non. Il est ailleurs. Quelque part, et je le trouverai. J’en suis sûr, à cause de mon instinct.
Thorvald est le Professeur. Mais moi, je suis un chasseur.
Son chasseur.
24
Il remarqua d’abord le mouvement. Un objet gris montant et descendant au-dessus du mur comme un oisillon passant la tête hors de son nid. La chose se tourna à droite et à gauche, s’agita comme un poing colérique. Après l’avoir observée quelques secondes, il reconnut un périscope de campagne, instrument de prédilection du tireur embusqué russe.
— Nikki !
Thorvald se concentra sur sa lunette pour percer de son réticule la brume de bataille enveloppant le parc. L’assaut avait été donné dans la matinée contre un bastion russe situé au coin gauche du parc. L’attaque avait échoué une heure plus tôt, mais de la fumée et de la poussière planaient encore au-dessus du sol, captant et reflétant la lumière comme un crachin berlinois, gênant la vision de Thorvald.
Il écarta son visage de l’oculaire. Son œil gauche, resté fermé pendant la plus grande partie de la matinée, fut lent à s’ouvrir. Sur son œil droit, celui avec lequel il visait, demeurait collée l’image transparente et grossie du mur d’en face. Dans l’obscurité de sa cachette, l’image survivait comme un spectre.
Il appela de nouveau Nikki.
— Oui, mon colonel ?
— Préparez le casque et le bâton.
Thorvald colla de nouveau l’œil à la lunette. Qui est cet imbécile dont le périscope titube comme un enfant souffrant du mal de mer ? Ce ne peut être un tireur d’élite ; il est trop fébrile ; il essaie d’englober d’un coup tout le
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