La guerre des rats(1999)
tressaillit. Sans lever la tête, il répondit par une pression des doigts, attendit de sentir la main de Tania répondre à son tour pour lever les yeux et la voir qui le regardait.
— Salut, Vashinka.
— Tania, je… bredouilla-t-il, à court de mots. Depuis combien de temps tu es réveillée ?
— Pas longtemps.
Il prit la main de la jeune femme dans les siennes.
— Je suis resté près de toi. J’ai pas bougé.
Elle tenta de poser son autre main sur celles de Zaïtsev, mais quelque chose l’en empêcha.
— Je sais, dit-elle en grimaçant.
Elle montra une de ses paumes, y traça une cible du doigt, tapota à l’endroit de la mouche.
Il approcha ses lèvres de celles de Tania, complètement desséchées.
— J’ai très mal, Vasha, murmura-t-elle. Je suis en train de mourir ?
Il enfouit ses yeux dans sa chevelure.
— Je sais pas. Tu as perdu beaucoup de sang. On t’a enlevé un rein.
Tania regarda le plafond, hocha la tête comme si elle savait ce qu’il allait dire ensuite. Il se rappela qu’elle était petite-fille de médecin.
— On attend que l’autre rein se remette en marche.
Deux garçons de salle pénétrèrent dans la pièce et portèrent un capitaine blessé vers le lit le plus éloigné de celui de Tania. Il avait le cou et les épaules entourés de gaze, mais il était conscient.
— Doucement, dit l’officier aux soldats qui levaient la civière. (Il s’appuya sur son bras valide pour les aider à le faire glisser sur le lit.) Bon Dieu, fit-il entre ses dents serrées.
Tania s’humecta les lèvres.
— Vasha, j’ai soif.
Zaïtsev se leva pour attirer l’attention d’un des garçons de salle, lâcha la main de Tania.
— Vasha. Ne… Ne me laisse pas.
Il se rassit, se força à sourire. Le temps et le destin, pensa-t-il. Jamais je ne la laisserai. Combien de temps le destin m’accordera-t-il ? Se soucie-t-il de ce que je veux ?
— Soldat, de l’eau.
L’un des garçons sortit, l’autre replia la civière. L’officier se coucha sur son épaule indemne pour pouvoir regarder Zaïtsev et Tania. La lumière faisait luire la peau de son crâne rasé. Il avait une grosse tête, une mâchoire de cheval.
— Pas de chance, fit-il. Elle va s’en tirer ?
— Oui, mon capitaine, répondit Zaïtsev.
— Moi aussi. La balle a traversé mon bras de part en part. (Il se coucha de nouveau sur le dos en grimaçant.) On a fait vingt mille prisonniers, hier. Les Boches étaient drôlement surpris quand on leur est tombés dessus.
Le garçon de salle revint avec un verre d’eau et Zaïtsev souleva la tête de Tania pour la faire boire. De l’eau coula sur son menton quand elle avala. Zaïtsev l’essuya doucement avec sa manche.
Tania laissa sa tête retomber sur l’oreiller, ferma les yeux.
— On est en train de gagner, dit le capitaine.
Il se tut.
TROIS
Le Chaudron
31
« Toutes les sept secondes, un soldat allemand meurt à Stalingrad. Un… deux… trois… quatre… cinq… six… sept. Toutes les sept secondes, un soldat allemand meurt à Stalingrad. Un… deux… trois… »
L ‘homme qui se tenait près de Nikki Mond se leva, se dirigea vers le poste de radio posé sur un établi et chercha l’autre station militaire.
Aucun des douze autres soldats présents dans l’usine ne bougea. Ils restèrent assis, chacun renfermé en lui-même. Sur l’autre station, on entendit : « … cinq… six… sept. Toutes les sept secondes… »
— Bon Dieu ! s’écria le premier soldat. Et l’émission de Lale Anderson, qu’est-ce qu’elle est devenue ?
Un de ses camarades leva les yeux.
— Les rouges brouillent nos programmes. Ça va, ça vient. Tu l’entendras dans un moment, ta Lale. Rassieds-toi.
Nikki regarda autour de lui. Ce n’était que ce matin du réveillon de Noël qu’il avait rejoint cette unité bigarrée au rez-de-chaussée des Barricades. Avec ces hommes, il avait passé la matinée à fabriquer des décorations de fortune. Un sapin avec des tiges métalliques assemblées par du fil de fer, des boules de couleur avec du coton des trousses médicales de secours. Des étoiles découpées dans du papier coloré pendaient aux branches de fer, des tasses d’huile coupée d’eau dans laquelle trempait une mèche faisaient office de bougies, sous « l’arbre ».
Le soldat dégoûté par le brouillage était arrivé deux heures plus tôt. Comme Mond, il faisait partie de ces milliers de nomades lâchés dans la ville après la
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