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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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était pieds nus, et le petit Français, qui s’était emparé de ses bottes, les secouait l’une contre l’autre, pendant que le pauvre homme murmurait quelques mots d’un air piteux. Pierre ne lui jeta qu’un coup d’œil ; son attention était toute concentrée sur l’autre Français, qui s’était rapproché de la jeune femme, et lui avait passé la main autour du cou. La belle Arménienne ne bougea pas, Pierre n’avait pas eu encore le temps de franchir les quelques pas qui le séparaient d’elle, et déjà le maraudeur lui avait arraché le collier qu’elle portait, et la jeune femme, réveillée de sa torpeur, poussait des cris déchirants.
    « Laissez cette femme ! » s’écria Pierre, furieux, en secouant le soldat par les épaules ; le soldat tomba, et, se relevant aussitôt, s’enfuit à toutes jambes.
    Son camarade, jetant à terre les bottes qu’il tenait à la main, tira son sabre et marcha droit sur Pierre :
    « Voyons, pas de bêtises, » dit-il.
    Pierre, en proie à un de ces accès de colère qui décuplaient ses forces et lui ôtaient toute conscience de ses actes, se jeta sur lui, lui donna un croc-en-jambe, le renversa et lui appliqua une volée de coups de poing. La foule était en train de l’applaudir, lorsque d’un coin de la place déboucha une patrouille de lanciers, qui arrivèrent au trot et entourèrent le vainqueur et le vaincu. Pierre ne comprit qu’une chose, c’est qu’il frappait à coups redoublés, qu’on le battait à son tour, qu’on lui liait les mains, et il se vit entouré de soldats qui fouillaient dans ses poches.
    « Il a un poignard, lieutenant ! »
    Ce furent les premiers mots qu’il entendit distinctement.
    « Ah ! une arme ! reprit l’officier… C’est bon, vous direz tout cela au conseil de guerre…
    – Parlez-vous français, vous ? »
    Pierre, les yeux injectés de sang, ne répondit rien ; il avait sans doute l’air peu rassurant, car l’officier donna tout bas un ordre, et quatre lanciers vinrent se placer à ses côtés.
    « Parlez-vous français ? répéta l’officier en se tenant à distance… Appelez l’interprète ! »
    Un petit homme en habit civil sortit de derrière les rangs. Pierre le reconnut aussitôt pour un commis français qu’il avait vu dans un magasin de Moscou.
    « Il n’a pas l’air d’un homme du peuple, dit l’interprète en examinant Pierre.
    – Ce doit être l’un des incendiaires, reprit l’officier. Demandez-lui qui il est.
    – Qui es-tu ? dit l’interprète. Ton devoir est de répondre à l’autorité.
    – Je ne vous dirai pas mon nom ; je suis votre prisonnier, emmenez-moi, dit tout à coup Pierre en français.
    – Ah ! ah ! s’écria l’officier en fronçant le sourcil… Marchons ! »
    Un groupe de curieux, parmi lesquels se trouvaient la petite fille et la femme à qui il l’avait confiée, s’était rapproché des militaires.
    « Où donc te mène-t-on, mon petit pigeon ? et que ferai-je de cet enfant si elle n’est pas à eux ?
    – Que veut cette femme ? » demanda l’officier.
    La surexcitation de Pierre ne connut plus de bornes à la vue de la fillette qu’il avait sauvée.
    « Ce qu’elle veut ? Elle m’apporte ma fille, que je viens de tirer des flammes. » Et, ne sachant lui-même pourquoi il avait débité ce mensonge inutile, il se mit à marcher entre les quatre lanciers chargés de le garder.
    Cette patrouille avait été envoyée, ainsi que beaucoup d’autres, sur l’ordre de Durosnel, pour arrêter le pillage et mettre la main sur les incendiaires qui, au dire des chefs militaires français, mettaient le feu à Moscou. Mais, en fait de gens suspects, les patrouilles n’avaient trouvé qu’un boutiquier, deux séminaristes, un paysan, un domestique et quelques maraudeurs. Pierre fut celui de tous qui leur inspira le plus de soupçons ; aussi, lorsqu’ils furent amenés dans la maison où était établi le corps de garde, fut-il placé dans une chambre à part et soumis à une rigoureuse surveillance.

CHAPITRE III
     
    I
    À la même époque, une lutte acharnée, à laquelle se mêlaient comme d’habitude tous les frelons de cour, se poursuivait, dans les hautes sphères de Saint-Pétersbourg, entre les partis de Roumiantzow, des amis de la France, de l’Impératrice mère et du césarévitch, pendant que la vie de luxe suivait tranquillement son train habituel. Pour quiconque se trouvait au milieu de ce courant de rivalités

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