La jeune fille à la perle
plateau le
pichet blanc et deux verres, au cas où il aurait voulu se joindre à elle, puis
je portai le tout dans la grande salle. En entrant, je me heurtai à Cornelia,
debout dans l’embrasure de la porte. Je réussis à rattraper le pichet, les
verres se heurtèrent contre ma poitrine, mais ils ne se cassèrent pas. Avec un
petit sourire narquois, Cornelia s’écarta pour me laisser passer.
Catharina était assise à la
table avec sa houppette, son poudrier, ses peignes et sa boîte à bijoux. Elle
avait mis ses perles, sa robe en soie verte, modifiée de façon à cacher son
ventre de femme enceinte. Je posai un verre près d’elle et lui servis à boire.
« Voulez-vous aussi un
verre de vin, Monsieur ? » demandai-je, en levant la tête. Il était
adossé au bahut près du lit, contre les rideaux de soie, qui, je le remarquai
pour la première fois, étaient d’une étoffe assortie à la robe de Catharina.
Ses yeux allaient et venaient, de moi à Catharina. Sur son visage, on
retrouvait le regard du peintre.
« Petite sotte, vous avez
renversé du vin sur ma robe ! » Catharina s’écarta de la table. Du
revers de la main, elle chassa quelques gouttes rouges qui avaient éclaboussé
sa robe.
« Pardonnez-moi, Madame.
Je cours chercher un torchon humide pour éponger ça !
— Oh ! ne vous
inquiétez pas. Je ne peux pas supporter de vous voir vous agiter. Sortez d’ici,
c’est tout. »
En reprenant le plateau, je
lançai un regard furtif à mon maître. Il avait les yeux fixés sur la perle à
l’oreille de son épouse. Tandis qu’elle tournait son visage pour se poudrer, la
perle se balançait, jouant au gré de la lumière des fenêtres du devant. Elle
miroitait comme les yeux de Catharina, nous incitant à regarder son visage.
« Je dois descendre un
moment, dit-il à Catharina. Cela ne me prendra pas longtemps. »
Ça y est. Cette fois, me
dis-je, il a sa réponse.
Le lendemain après-midi,
lorsqu’il me demanda de monter à l’atelier, je ne ressentis pas mon
enthousiasme habituel. Pour la première fois, je redoutai ce moment. Ce
matin-là, la lessive m’avait paru particulièrement pénible, mes mains n’avaient
pas eu la force de l’essorer convenablement. J’allais et venais lentement entre
la buanderie et la cour, m’asseyant plus d’une fois pour me reposer. Maria
Thins me surprit donc assise au moment où elle venait chercher un poêlon en
cuivre. « Que se passe-t-il, ma fille ? Serais-tu
souffrante ? » me demandât-elle.
Je me relevai d’un bond.
« Non, Madame, je suis juste un peu fatiguée.
— Fatiguée, tiens ?
Voilà qui ne sied pas à une servante, surtout le matin. » Elle me
regardait d’un air incrédule.
Je plongeai les mains dans
l’eau froide et en ressortis une chemise de Catharina. « Y a-t-il des
courses que vous souhaiteriez que je fasse cet après-midi, Madame ?
— Des courses ? Cet
après-midi ? Je ne pense pas. N’est-il pas étrange que tu poses cette
question alors que tu es fatiguée ? » Elle plissa les yeux.
« Dis-moi, ma fille, tu
n’aurais pas fait une bêtise, par hasard ? Van Ruijven ne serait pas venu
te surprendre alors que tu te trouvais seule, j’espère ?
— Non, Madame. » À
vrai dire, il avait essayé deux jours plus tôt, mais j’avais réussi à lui
échapper.
« Quelqu’un serait-il venu
vous trouver là-haut ? » demanda Maria Thins à voix basse, ponctuant
cela d’un signe de tête en direction de l’atelier.
« Non, Madame. » Je
fus un moment tentée de lui parler de la boucle d’oreille, mais je me contentai
d’ajouter : « J’ai dû manger quelque chose qui ne me convenait pas,
c’est tout. »
Maria Thins haussa les épaules
et s’éloigna. Elle ne me croyait toujours pas, mais, elle avait dû se dire que
cela n’avait pas d’importance.
Cet après-midi-là, je montai
sans hâte l’escalier, m’arrêtant à la porte de l’atelier. Ce ne serait pas
comme les autres fois où j’avais posé pour lui. Il allait me demander quelque
chose et j’étais son obligée.
Je poussai la porte. Assis
devant son chevalet, il étudiait le bout d’un de ses pinceaux. Lorsqu’il me
regarda, je vis sur son visage une expression que je n’y avais encore jamais
vue : il était inquiet.
C’est ce qui me donna le
courage de parler ainsi. J’allai me placer près de ma chaise, la main reposant
sur une des têtes de lion. « Monsieur, commençai-je en m’agrippant
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