La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
décès d’Edmund. Désormais, il était le seul homme de la famille.
***
Minuit sonnait à la pendule. Fatiguée au point de ne pas trouver le sommeil, Klara suivit sa sœur dans la cuisine et accepta une tasse de tisane à la valériane. Elle vit alors le paquet entouré de papier journal laissé sur le buffet. Elle le déplia et la vue de la pipe à demi consumée d’Aloïs lui tira une larme. Il y avait aussi sa blague à tabac qui portait tous les signes d’un usage intense. Puis elle vit l’écrin de velours.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda Hannitante en déposant le pot de tisane sur la table.
Avec son ongle, Klara releva la languette de cuivre et ouvrit l’écrin. Apparut la miniature de Zwettl, brisée en quatre morceaux. Les deux sœurs regardèrent longuement les visages peints sur l’ivoire.
– Lui, on dirait le visiteur de ce matin, dit Klara en posant l’index sur Carolus Tricotin.
Hannitante hocha la tête, l’équivalent pour elle d’un haussement d’épaules.
– Comment veux-tu que je le sache, je ne l’ai pas vu…
Elle eut un geste en direction du salon où était exposé le mort.
– Par contre, change les moustaches, redresse le nez et c’est son portrait tout craché.
***
Les nerfs moyennement détendus par la valériane, Klara se coucha. Son cœur se serra devant la chambre désespérément vide. Les vieilles qui s’étaient occupées de la toilette mortuaire avaient déposé sur le bureau d’Aloïs le contenu de ses poches : quelques pièces de monnaie, son trousseau de clefs et sa grosse montre qui, elle, tictaquait encore.
Klara fit ce qu’elle n’avait jamais osé faire en dix-huit années de mariage : elle prit le trousseau de clefs et, à la
troisième tentative, elle déverrouilla le tiroir du bas dans lequel Aloïs serrait ses affaires personnelles.
Elle fut déçue de ne trouver que du papier, en majorité imprimé : des factures (acquittées), les actes notariés du Rauscher-Gut, tous les documents afférant à sa retraite (Klara les mit de côté en prévision du marathon administratif consécutif au décès du fonctionnaire), toutes les Verordnungsblätter annonçant ses promotions (de la première en 1855, à la dernière en 1895), plusieurs exemplaires de La Mouche à miel où était publiée sa lettre-réponse aux Étouffeurs ; au fond du tiroir, dans une enveloppe jaunie, elle trouva une mèche de cheveux gris enrubannés ainsi qu’une coupure de journal d’une publicité :
Après un Extra-Ordinaire Voyages d’Études à l’Étranger,
Le Docteur Karolus Trikotin est heureux d’annoncer
Qu’il met à la disposition du public son Savoir Étendu
Et ses Méthodes résolument Modernes autant qu’Indolores.
Prix de la consultation élevé.
Elle se souvenait que le nom donné par le visiteur ce matin était Tricotin, or Herr Stiefler affirmait que, peu de temps avant sa mort, Aloïs et ce même Tricotin se disputaient au point de s’envoyer des objets au visage. Et que penser de ces trois personnages peints sur ivoire ?
Klara referma le tiroir, passa sa chemise de nuit, dénoua ses cheveux, se coucha. À peine était-elle sous la lourde couette que ses narines s’emplirent de la forte odeur d’Aloïs. Elle se releva, ralluma la lampe, ouvrit l’armoire et changea la parure de lit.
Dehors, la neige recommença à tomber et, durant la nuit, d’autres branches de pommier se brisèrent avec des craquements secs que personne n’entendit.
14
« Le talent c’est le tireur qui atteint un but que les autres ne peuvent toucher. Mais le génie, c’est celui qui atteint un but que les autres ne peuvent même pas voir. »
Arthur Schopenhauer
Le lendemain, dimanche 4 janvier 1903.
Les traits tirés par le manque de sommeil, Klara écoutait les condoléances récitées des voisins en hochant la tête.
Le dénommé Marcello Tricotin entra dans la pièce, l’air plus égaré que jamais, paraissant stupéfait par ce qu’il découvrait. Après avoir regardé le corps avec des yeux ronds, il s’approcha du guéridon et prit dans l’assiette l’un des cent faire-part livrés ce matin par le fossoyeur Herr Meyer.
Leonding, 3 janvier 1903.
Plongés dans un profond chagrin, nous annonçons, de notre part et de la part de toute la famille, le décès de notre cher et inoubliable époux, père, beau-frère, oncle.
ALOÏS HITLER
Directeur des Douanes impériales et royales en retraite,
qui s’est soudain endormi dans la
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