La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
à la couverture déchiquetée en plusieurs endroits : La Vie d’un génie , une biographie critique de Richard Wagner qu’il avait empruntée la semaine dernière à la bibliothèque.
– Wolfie ! Misérable ! Regarde ce que tu as fait de mon livre qui n’est même pas le mien !
Soudain la mémoire lui revint : c’était précisément dans ce livre qu’il avait lu le nom de Schopenhauer. Il prit l’ouvrage et retrouva le passage où l’auteur affirmait que, sans la lecture du Monde comme volonté et comme représentation , Richard Wagner n’aurait jamais composé Tristan et Isolde .
Un bout de langue coincée entre les dents (signe de concentration), Adolf inscrivit Arthur Schopenhauer en tête des auteurs qu’il allait devoir se procurer et lire au plus vite. Afin de souligner l’urgence, il ajouta dessous une phrase attribuée à Richard : « La découverte de la philosophie de Schopenhauer reste le moment le plus important de mon existence. »
Un bruit répétitif, rythmé, étouffé, capta son attention. Cela venait du dehors. Il essuya la buée sur la vitre de la fenêtre et regarda. Il vit deux hommes armés de pioches qui creusaient difficilement la terre gelée du cimetière. Ouvrant la fenêtre, il dessina la scène. Plus tard, il ébaucha
plusieurs projets de stèle funéraire, allant de la simple croix de granit au gisant de bronze grandeur nature.
En bas, dans la cuisine tiède, Klara ne savait que penser. Son cœur battait la charge. Elle manquait d’air. Hannitante aussi.
Avant de prendre congé, l’Italien lui avait remis une enveloppe brune à l’en-tête de l’hôtel Sacher de Vienne :
– Je devais les remettre à votre époux de la part de mon père, enfin de notre père, mais il ne m’en a pas laissé le temps.
Marcello était parti à grandes enjambées, comme pour s’en aller plus vite. L’enveloppe contenait cinquante billets de cent Kronen et cinq billets de mille Kronen , soit, dix mille Kronen , soit dix annuités de pension d’Aloïs ! Hannitante ouvrait des yeux ahuris en secouant la tête au risque d’ébranler son chignon.
– Moi, c’est le premier billet de mille Kronen que je vois.
– Oh, moi, je savais même pas qu’il en existait !
– En tout cas, ça, c’est la preuve !
– La preuve ?
– Oui, la preuve absolue que ce qu’il a dit sur l’oncle Aloïs est vrai de vrai.
– Et c’est aussi la preuve absolue que j’ai pas fait de péché mortel en me mariant avec lui. Et ça, Dieu, Il le savait forcément… Alors pourquoi Il m’a tué quatre enfants ?
– Oui, pourquoi Il t’a pris quatre enfants sur six ?
***
Aloïs fut enterré à moins de cinquante pas de son avant-dernière demeure. Tout ce qui comptait à Leonding (une quarantaine de personnes) était présent, donnant une impression de foule dans ce petit cimetière.
Le cercueil quitta le 16 de la Michaelsbergstrasse à 8 heures sonnantes, porté à l’épaule par le douanier à la
retraite Karl Wessely (ils s’étaient connus à Braunau), par le douanier en activité Emmanuel Lugert (ils s’étaient connus à Passau), par Josef Mayrhofer, l’actuel Bürgermeister de Leonding, et enfin par Anton Schmidt, de Spital, l’époux de Theresia Pölzl la sœur cadette de Klara et de Johanna.
Il y eut un flottement dans le cortège lorsqu’il fallut choisir le chemin : il y avait celui qui contournait le cimetière, passait devant la Gasthof Stiefler, arrivait sur le parvis, et il y avait le raccourci qui passait à travers le cimetière et débouchait directement devant l’église. Le cercueil de chêne étant pesant et les porteurs n’étant plus de la prime jeunesse, le raccourci, avec l’assentiment de la veuve, fut préféré.
Main dans la main entre sa mère et Paula, les jambes nues frigorifiées par la bise, Adolf ne dit mot, ni durant la messe ni durant la mise en terre, bien trop occupé à réfléchir à ce que serait, désormais, sa nouvelle existence.
***
Au mois d’août, alors qu’il poursuivait le gros chat des Müller, Wolfie passa sous la roue avant puis sous la roue arrière d’un Einspänner venant d’Urfahr. Adolf éprouva une tristesse supérieure à celles ressenties lors des deuils d’Edmund et de son père.
***
Huit mois plus tard, le 14 septembre au matin, Angela épousait Leo. Le soir même, elle s’installait à l’hôtel Zum Waldhorn, Bürgerstrasse , dans la chambre louée par l’administration des Impôts à
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