La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
comprenait les mots, il ne comprenait pas leur agencement en phrases), Adolf avait alors renoncé et reporté à une date ultérieure une nouvelle tentative.
Trop intimidé pour faire le premier pas, l’estomac gargouillant, Adolf avait dépassé Ludwig au pas de course et s’était engagé quatre à quatre dans l’escalier, au risque de se briser toutes les vertèbres cervicales d’un coup. Il n’en revenait pas d’avoir croisé dans le couloir principal un autre amateur de Richard Wagner et d’Arthur Schopenhauer.
Les jours suivants, il se renseigna et plusieurs camarades lui fournirent quelques informations. Il apprit ainsi que l’élève Ludwig Wittgenstein, inscrit comme catholique romain, venait de Vienne. Ses parents étaient d’authentiques aristocrates absolument millionnaires, ce qui expliquait les raisons poussant l’adolescent à vouvoyer tout le monde, même le chien du directeur. Ledit Wittgenstein logeait chez Herr Strigl, un professeur du Gymnasium , et à ce jour on ne lui connaissait qu’un seul ami, Pepi Strigl, le
fils de son logeur, le seul qu’il tutoyait une fois sur deux. Adolf apprit itou qu’à six jours près ils avaient le même âge. Pourtant, Wittgenstein avait un an d’avance, tandis qu’Adolf avait un an de retard.
Ce fut par Karl Korger qu’Adolf sut qu’une semaine après son arrivée on avait vu Ludwig Wittgenstein envoyer des baisers par la fenêtre aux nonnes du couvent de la Herrengasse.
– C’est vrai ?
– Oui, j’y étais avec mon frère.
Wolfgang Piffer montra sept de ses doigts.
– Et moi je l’ai entendu dire au professeur Huemer qu’il y avait sept pianos à queue dans sa maison à Vienne. Ça doit être drôlement grand !
En soirée, profitant que Paula aidait leur mère à faire la vaisselle, Adolf s’était introduit dans la chambre de sa sœur et avait emporté L’Art d’avoir toujours raison .
Le lendemain, il déambulait dans la Realschule , Schopenhauer bien en évidence sous le bras droit.
Ludwig, cette fois, sifflait le prélude du Der Fliegende Holländer quand il croisa Adolf. L’appât fonctionna à merveille. Ludwig s’arrêta de siffler.
– Mon-mon-mon-montrez, je-je-je vous prie, dit-il en pointant négligemment l’index vers le livre.
Adolf lui tendit l’appât en sifflant la suite du Vaisseau fantôme , mais comme il la connaissait mal (il ne l’avait vu et entendu qu’une seule fois), il se trompa dans le leitmotiv.
Ludwig fronça les sourcils.
– Vous-vous-vous trom-trompez, mein Herr .
Il siffla alors la version correcte, agitant l’index comme une baguette de chef d’orchestre, puis il lui rendit le livre :
– Mes pré-pré-préférés sont le-le-le huit et-et-et le trente.
Il se déhancha pour demander d’une voix douce :
– Où avez-vez-vez vous vu Le Vai-Vai-Vaisseau fantôme … à-à-à Vienne peut-être ?
– Non, je n’ai jamais été à Vienne. Je l’ai vu ici, au Landestheater. La saison dure de septembre à mai et le répertoire est immense.
– Immense, mais-mais-mais encore ?
– De douze à treize représentations par mois.
Reprenant son sifflement là où il l’avait interrompu, Ludwig continua son chemin tandis qu’Adolf – aussi fier en dedans qu’en dehors – était interloqué.
Il consacra toute sa soirée et une partie de la nuit à lire « les 38 stratagèmes pour garder raison à tout prix en ayant objectivement tort, ou comment terrasser son adversaire en étant de plus mauvaise foi que lui », sans rater un seul stratagème, relisant plusieurs fois le huitième et le trentième : le huitième était le plus court (quatre lignes), le trentième le plus long (cinq pages).
Cette lecture édifiante lui surchauffant les méninges, Adolf eut du mal à s’endormir. Bien sûr, il n’avait pas tout compris, mais ce qu’il avait compris il l’avait bien compris. Comment pourrait-il oublier… car ce qui importe, ce n’est pas la vérité, mais le triomphe… ou encore… car le plus souvent, une once de volonté pèse plus lourd qu’un quintal d’intelligence et de convictions… ou bien… de nombreux passages de son œuvre étaient de ceux où l’auteur fournit les mots et où le lecteur doit y mettre un sens. Cette dernière phrase résumait à la perfection ce qu’il avait vécu lors de sa courageuse tentative à lire et comprendre Le Monde comme volonté et comme représentation .
En final à ses seize pages de notes, Adolf écrivit :
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