La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
J’avais reconnu votre sifflement… mais que vous est-il arrivé ?
– J’ai marché sur un râteau, Frau Kubizek, ce n’est rien.
– C’est votre maman qui doit être heureuse de vous avoir à la maison.
La porte de l’atelier s’ouvrit sur un adolescent au front bombé surmonté d’une tignasse d’abondants cheveux bruns qu’il plaquait en arrière à la romantique.
Les deux amis se serrèrent la main.
– Dis donc, il t’a drôlement amoché, ton râteau. Tu es sûr que c’est pas plutôt le tramway qui t’est passé dessus ?
– Pas du tout, ce n’est rien, je n’ai que deux points de suture.
– Et ton examen ?
– Je l’ai, bien sûr, mais ce n’est pas le problème. Le problème c’est que je suis furibond.
– Je le serais moi aussi si j’avais marché sur un râteau.
– Si ce n’était que ça ! C’est bien plus grave ! Il s’agit de ce malfaisant de Raubal. J’ai la preuve absolue qu’il veut persuader ma mère de ne pas me laisser partir à Vienne.
Ils firent quelques pas vers la Franz-Josef Platz. Tout en parlant, Adolf brassait l’air de ses bras, revivant l’altercation avec son demi-beau-frère. August l’observait du coin de l’œil, comme à l’accoutumée fasciné par tant de véhémence en une seule personne ; il semblait être incapable d’indifférence, même si cela le contraignait à donner un avis définitif sur tout.
Bientôt ils arrivèrent sur la place pavée et s’assirent sur le rebord de pierre de la colonne de la Trinité.
– Et toi, mon cher Paganinizek, as-tu fait des progrès au violon ?
Désabusé, August haussa les épaules.
– J’ai raté deux leçons. Mon père n’est pas en bonne santé en ce moment, alors j’ai beaucoup de travail à l’atelier.
– Tu verras, Gustl, prédit Adolf tandis que le dernier tramway pour Urfahr s’engageait sur l’affreux pont métallique, je parie qu’il se passera quelque chose, j’ignore quoi, mais nos parents nous laisseront partir à Vienne. Toi, tu t’inscriras au Conservatoire de musique, et moi à l’Académie des beaux-arts, et un jour nous aurons notre statue ici même, sur cette place.
Ayant oublié dans sa précipitation son carnet de croquis, Adolf renonça à dessiner les statues et se contenta de
désigner les endroits où s’élèveraient les colonnes supportant le buste du virtuose violoniste alto August Kubizek et la statue en pied du génial artiste peintre-architecte Adolf Hitler.
– J’exigerai qu’on déplace ces deux maisons là-bas qui bouchent la perspective sur le Danube.
Un détail cependant préoccupait son ami.
– Pourquoi je n’ai qu’un buste et toi une statue en pied ?
– Je te prierai de ne pas poser de questions idiotes, sinon c’est une simple plaque même pas en marbre que tu vas avoir ! répliqua Adolf, le ton plein d’échardes.
***
Les cloches de la cathédrale sonnant 9 heures du soir, Adolf rentra chez lui. Angela et son fonctionnaire étaient partis, Hannitante et Paula étaient couchées, Klara tricotait des chaussettes en laine dans la cuisine. Il sourit en voyant la double part de gâteau au chocolat qui trônait sur la table.
– Tu as passé un bon moment ?
– J’ai été voir Gustl.
Il s’assit et dévora l’entremets sous l’œil approbateur de sa mère qui prenait plaisir à le voir manger de bon appétit : un enfant qui a faim est un enfant en bonne santé.
– Si tu veux, nous pourrions passer l’été à Spital ?
Adolf acquiesça. Sa mère serait ainsi hors d’atteinte de la néfaste influence du pernicieux cancrelat Raubal, et les moments opportuns ne manqueraient pas pour la convaincre en douceur de le laisser partir.
Avant d’aller se coucher, Klara insista pour changer son pansement et lui badigeonner la lèvre avec de la teinture d’iode. Une fois dans sa chambre, il consacra une partie de la nuit à tracer les plans d’une nouvelle Franz-Josef Platz, modifiant la perspective en faisant disparaître deux maisons,
ajoutant les statues dédiées au grand peintre et à son ami le grand violoniste.
***
August avait rencontré Adolf dans le promenoir du Landestheater. Son salaire d’apprenti tapissier étant insuffisant pour se payer une place assise (trois Kronen ), il se contentait d’un billet de promenoir (une demi- Krone ). Dans ce promenoir, il existait un endroit précis où l’acoustique et la vue étaient excellentes ; ce n’était pas un hasard si, juste
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