La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
arracha. Furibond, il s’enferma dans sa chambre en claquant la porte si fort que le portrait d’Aloïs au-dessus du râtelier à pipes se décrocha de son clou et tomba sur le plancher.
Le docteur Bloch et Leo Raubal échangèrent un regard circonspect tandis que Hannitante s’accroupissait pour ramasser les morceaux du cadre brisé.
Le médecin passa sa pèlerine, coiffa son grand chapeau et prit congé. Il descendait l’escalier quand il croisa August Kubizek qui montait les bras encombrés par un imposant sapin de Noël.
– Grüss Gott, Herr Doktor , comment va Frau Hitler ce matin ?
***
Revêtue de sa robe bleue et blanche du dimanche, le visage, le cou, les mains lourdement maquillés pour dissimuler son teint jaune d’œuf, sa mère fut exposée quarante-huit heures dans l’appartement, toutes fenêtres ouvertes.
Klara ayant exprimé à plusieurs reprises le souhait d’être enterrée en compagnie d’Aloïs, Adolf consacra la matinée et une partie de l’après-midi à entreprendre les démarches administratives et civiles pour assurer le transport et l’enfouissement à Leonding. Coût de l’opération : trois cent soixante-neuf Kronen et quatre-vingt-dix Heller qui allégèrent d’autant l’enveloppe du pactole Tricotin. Ceci fait, Adolf acheta une paire de gants de cuir noir et un haut-de-forme de la même couleur.
Le 23 au matin, quatre employés des pompes funèbres se présentèrent au 9 de la Blütengasse, portant un cercueil en bois poli au châssis de métal ouvragé (le modèle à cent dix Kronen , le plus cher). Hannitante les reçut et les
conduisit dans le salon où était exposée la morte. Enceinte de huit mois, Angela était la seule à être assise.
Les employés soulevèrent la morte avec précaution (tout le monde les regardait) et l’allongèrent dans le cercueil molletonné posé sur trois chaises. Adolf détourna les yeux lorsque, dans un geste terrifiant, l’un d’eux vissa le couvercle, plongeant sa mère dans une obscurité définitive. Le prêtre bénit le cercueil en marmonnant et tous se signèrent, à l’exception d’Adolf en train de croquer la scène au fusain. Sur un signe de leur chef, les employés se placèrent autour du cercueil et le transportèrent à travers l’appartement, dans l’escalier puis dans la rue où attendait un Leichenwagen tiré par deux vieux chevaux à l’air blasé.
Manteau noir, costume noir, ganté, coiffé de son haut-de-forme noir qui le grandissait de vingt-huit centimètres, Adolf menait le cortège, suivi de Hannitante, de Paula et de Leo Raubal ; venaient ensuite August et sa mère (Herr Kubizek terminait une commande de fauteuils qui ne souffrait pas de retard), puis les Mayrhofer de Leonding, Magdalena Hanisch, la propriétaire de l’immeuble de la Blütengasse, en compagnie des trois voisins du rez-de-chaussée (un maître de poste retraité avec sa femme et un professeur de Realschule également à la retraite). Ses deux mains posées à plat sur son énorme ventre pour amortir les cahots, Angela fermait la procession, installée dans un Einspänner .
Le cercueil fut transporté à l’intérieur de la Pfarrkirche et le curé donna une Totenmesse à cinq Kronen . Quinze minutes plus tard, Klara réintégrait le corbillard tandis que la cloche de l’église sonnait le glas. À l’exception de la propriétaire et des voisins, la famille se regroupa dans les deux voitures de louage qui les conduisirent à Leonding.
Adolf était assis dans l’ Einspänner de tête qui suivait le corbillard ; die Kleine et Hannitante étaient à ses côtés, tandis qu’Angela et Raubal occupaient l’autre banquette. De son siège, Adolf apercevait un bout du cercueil de sa
mère. Le cortège prit le chemin qu’Adolf avait suivi des années durant lorsqu’il se rendait à la Realschule .
Les voitures s’immobilisèrent le long du mur du Friedhof . Retardés une fois de plus par la terre gelée, les fossoyeurs travaillaient encore lorsque le cercueil entra dans le cimetière. Trop exiguë pour supporter un locataire de plus, les fossoyeurs avaient extrait le cercueil d’Aloïs de la fosse et l’avaient posé sur des tréteaux. Adolf s’en approcha : malgré cinq ans sous terre, le chêne était en bon état ; seules les poignées de bronze, en s’oxydant, avaient perdu de leur éclat.
La cérémonie fut brève, et quand Adolf comprit que les fossoyeurs allaient descendre Klara au fond du trou, il intervint
Weitere Kostenlose Bücher