La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
présenter devant le roi, au risque de troubler son repos ; lui faire sentir combien il est désagréable pour nous d’être forcés à quitter nos lits pendant une pareille saison, presque sans autre vêtement que nos chemises ; lui montrer cette main sanglante, et le prier de nous déclarer de sa bouche royale s’il est juste et honnête que ses sujets affectionnés soient ainsi traités par les nobles et les chevaliers de sa cour débauchée. Et voilà ce que j’appelle faire valoir notre cause chaudement.
– Chaudement, dis-tu ? répliqua le vieux bailli ; si chaudement, ma foi, que nous serions tous morts de froid avant que le portier eût tourné la clef dans la serrure pour nous admettre en présence du roi. Allons, mes amis, la nuit est piquante ; nous avons fait notre devoir en gens de bien, et notre brave Smith a donné à ceux qui voudraient nous insulter une leçon qui vaudra vingt proclamations du roi. Demain est un autre jour ; nous nous réunirons en ce même lieu, afin d’y délibérer sur les mesures à prendre pour découvrir ces scélérats et les faire arrêter. En attendant, séparons-nous avant que notre sang se glace dans nos veines.
– Bravo ! bravo ! voisin Craigdallie, cria-t-on de toutes parts ; vive à jamais saint Johnstoun !
Olivier Proudfute aurait volontiers répliqué, car c’était un de ces orateurs sans pitié qui s’imaginent que leur éloquence peut braver tous les inconvéniens de temps, de lieu et de circonstances. Mais personne ne voulut l’écouter, et les bourgeois se séparèrent pour regagner chacun leur logis, éclairés par le premier rayon de l’aurore qui commençait à tracer des sillons lumineux sur l’horizon.
À peine étaient-ils partis que le vieux Glover ouvrit la porte de sa maison, et prenant Smith par le bras, il l’y fit entrer.
– Où est le prisonnier ? demanda l’armurier.
– Parti, échappé, sauvé, que sais-je ? répondit Simon ; il s’est enfui par la porte de derrière et a traversé le petit jardin. Ne songe pas à lui, mais viens voir la Valentine dont tu as garanti ce matin l’honneur et la vie.
– Donnez-moi le temps de rengainer mon couteau de chasse et de me laver les mains, dit Smith.
– Il n’y a pas un moment à perdre, s’écria Glover ; elle est levée et presque habillée. – Suis-moi. Je veux qu’elle te voie ta bonne arme à la main et le bras couvert du sang de ces misérables, afin qu’elle sache apprécier ce que vaut un homme de cœur. Elle m’a fermé la bouche trop long-temps par sa pruderie et ses scrupules ; je prétends qu’elle apprenne à connaître le prix de l’amour d’un brave homme et d’un hardi bourgeois.
CHAPITRE V.
Éveillée en sursaut par le bruit, la Jolie Fille de Perth avait écouté avec terreur, et osant à peine respirer, le tumulte et les cris qu’elle entendait dans la rue. Elle s’était jetée à genoux pour implorer le secours du ciel ; et quand elle reconnut les voix de voisins et d’amis réunis pour la protéger, elle resta dans la même attitude pour rendre grâce à la Providence. Elle était encore agenouillée quand son père poussa son champion dans sa chambre ; car Henry Smith s’était arrêté à la porte, d’abord par timidité, de crainte d’offenser sa maîtresse, et ensuite par respect pour sa dévotion.
– Père Simon, dit l’armurier, elle prie. Je n’oserais pas plus lui parler qu’à un évêque quand il dit la messe.
– Fais ce que tu voudras, vaillant et courageux imbécile, lui répondit Glover. Et s’adressant à Catherine : – Ma fille, lui dit-il, la meilleure manière de rendre grâce au ciel, c’est de montrer notre reconnaissance à nos semblables. Voici l’instrument par le moyen duquel Dieu t’a préservée de la mort, ou du déshonneur encore pire que la mort. Reçois-le, Catherine, comme ton fidèle Valentin, comme celui que je désire appeler véritablement mon fils.
– Non pas ainsi, mon père, répondit Catherine ; je ne puis voir personne en ce moment, je ne puis parler à personne. Je ne suis pas ingrate ; je n’ai peut-être que trop de reconnaissance pour celui à qui nous devons notre sûreté ; mais laissez-moi rendre grâce à l’ange gardien qui m’a envoyé ce secours si à propos, et donnez-moi un instant pour achever ma toilette.
– Sur ma foi, Kate, il serait bien dur de te refuser la demande que tu me fais, qu’on te laisse le temps de faire ta toilette ;
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