La lance de Saint Georges
ou
peut-être Bernay ? On avait aperçu de la fumée à Lisieux et les archers
grouillaient dans la forêt de Brotonne. À Louviers, une nonne rêva que le
dragon tuait saint Georges. Le roi ordonna que cette femme fût amenée à Rouen,
mais elle avait un bec-de-lièvre, une bosse et elle bégayait. Quand elle fût
devant le roi, elle s’avéra incapable de raconter son rêve, et moins encore de
confier la stratégie de Dieu à sa majesté. Elle se contenta de rentrer la tête
dans les épaules et de pleurer. Le roi, irrité, la renvoya, mais il reçut une
consolation de l’astrologue de l’évêque qui assurait que Mars se trouvait dans
sa phase ascendante, ce qui signifiait que la victoire était certaine.
La rumeur courait que les Anglais marchaient sur Paris, une
autre rumeur prétendait qu’ils se dirigeaient vers le sud afin de protéger
leurs territoires de Gascogne. On disait que tous les habitants de Caen étaient
morts, que le château était en ruine. Puis le bruit courut que les Anglais
mouraient de maladie. Le roi Philippe, qui avait toujours été un homme nerveux,
devint irritable, exigeant des nouvelles ; mais ses conseillers
persuadèrent leur maître que les Anglais, où qu’ils soient, finiraient par
mourir de faim si on les contenait au sud de la Seine. Les hommes d’Edouard
dévastaient les campagnes, il leur fallait donc se déplacer sans cesse pour
trouver de la nourriture, et si on les arrêtait à la Seine, ils ne pourraient
atteindre les ports du Nord qui leur permettraient de recevoir des vivres
d’Angleterre.
— Ils dilapident leurs flèches comme une femme dilapide
l’argent, expliqua à Philippe son jeune frère, Charles, comte d’Alençon. Mais
ils ne peuvent se procurer des flèches en France. On les leur livre par mer.
Plus ils s’éloignent de la côte, plus leurs problèmes s’aggravent.
Si les Anglais étaient contenus au sud de la Seine, il leur
faudrait soit livrer bataille, soit faire une retraite honteuse.
— Et Paris ? Qu’en est-il de Paris ? demanda
le roi.
— Paris ne tombera pas, certifia le comte. Pour
assaillir la cité, l’ennemi devra traverser la Seine puis affronter les plus
grands remparts de la chrétienté, et, pendant ce temps, la garnison l’arrosera
de carreaux et de projectiles tirés par les centaines de petites bombardes de
fer qui ont été installées sur les murs.
— Peut-être iront-ils au sud, en Gascogne ?
s’inquiéta Philippe.
— S’il font route vers la Gascogne, ils n’auront plus
de bottes à leur arrivée, et leur provision de flèches sera épuisée. Prions
pour qu’ils se dirigent vers la Gascogne, mais avant toute chose prions pour
qu’ils n’atteignent pas la rive nord de la Seine.
Car s’ils traversaient la Seine, ils iraient vers les ports
de la Manche les plus proches afin de recevoir des renforts et des vivres. Les
Anglais, le comte le savait bien, devaient avoir besoin de vivres. Une armée en
marche depuis trop longtemps devient hors d’usage, comme une vieille arbalète.
C’est ainsi que les Français renforcèrent les grandes
forteresses qui gardaient les passages sur la Seine et, là où les ponts ne
pouvaient être gardés, ils furent démolis, comme le pont de seize arches à
Poissy. Une centaine d’hommes munis de masses détruisirent le parapet et
démontèrent les arches, laissant dans la Seine quinze piles brisées, semblables
à des pas de géant. Quant à la ville de Poissy elle-même, située au sud de la
Seine, elle fut considérée comme indéfendable et abandonnée. Ses habitants
furent évacués vers Paris. Le large fleuve se transformait en une barrière
infranchissable destinée à prendre les Anglais au piège dans une contrée où ils
finiraient par manquer de nourriture. Ensuite, lorsque les diables auraient été
affaiblis, les Français les puniraient des terribles dommages qu’ils avaient
causés à la France. Les Anglais continuaient à brûler des villes et à détruire
des fermes, au point que, en ces longs jours d’été, l’horizon à l’ouest et au
sud était barré de colonnes de fumée qui formaient comme des nuages permanents
dans le lointain. La nuit, l’extrémité du monde scintillait et des populations
fuyant les incendies venaient à Rouen, où en raison de l’impossibilité de les
loger et de les nourrir on leur ordonnait de traverser le fleuve et d’aller là
où elles pourraient trouver un abri.
Sir Simon Jekyll et Henry Colley, son homme
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