La lance de Saint Georges
afin de mieux l’orienter, mais il était fort, et
en colère, et il se dit qu’il pourrait manier l’encombrant instrument
suffisamment longtemps pour briser l’assurance de l’étranger.
Plus personne ne combattait sur le pré. Tout le monde regardait.
On prit les paris qui furent tous en faveur de l’homme en noir. La plupart des
spectateurs l’avaient déjà vu combattre. Son cheval, son armure et ses armes
étaient manifestement supérieurs. Il portait une cuirasse et son cheval était
plus grand que la pauvre monture de sir Simon. Comme sa visière était baissée,
sir Simon ne pouvait voir son visage, alors que sir Simon lui-même ne portait
qu’un vieux casque semblable à ceux des archers anglais. Seul Henry Colley
avait parié sur sir Simon, bien qu’il eût des difficultés à le faire, son
français étant rudimentaire, mais son argent finit par être accepté.
L’écu de l’étranger était noir, orné d’une simple croix
blanche, insigne inconnu de sir Simon. Son cheval était revêtu d’une housse
noire qui balaya l’herbe quand il se mit en mouvement. L’étranger ne donna pas
d’autre signal et sir Simon y répondit en abaissant sa lance et en éperonnant
son cheval. Une centaine de pas séparaient les deux cavaliers qui se mirent
rapidement au petit galop. Sir Simon observait la lance de son adversaire pour
apprécier sa façon de la tenir. L’homme était un bon combattant car la pointe
de sa lance bougeait à peine malgré le mouvement du cheval. Son écu couvrait
son buste comme il convenait.
Si cela avait été une vraie bataille, si l’homme à l’étrange
écu ne lui avait pas offert une chance d’être engagé, sir Simon aurait abaissé
sa lance afin de frapper le cheval. Ou bien, coup encore plus difficile, il
aurait dirigé la pointe de sa lance sur le haut pommeau de la selle de son
adversaire. Sir Simon avait déjà vu une lance traverser le bois et le cuir
d’une selle et se loger dans l’aine du cavalier. C’était un coup toujours
mortel. Mais à présent il lui fallait montrer son habileté de chevalier,
frapper avec force et précision, et en même temps se protéger de la lance qui
s’approchait. La difficulté consistait à dévier le choc qui, ayant la poussée
d’un cheval au galop, pouvait briser le dos d’un homme en le projetant contre
son troussequin. Tout le poids d’un lourd cavalier concentré dans la pointe de
sa lance avait le même effet qu’un boulet de bombarde.
Sir Simon ne pensait à rien de tout cela. Il regardait la
lance qui venait sur lui et l’écu qu’il visait de sa propre lance tout en
guidant son cheval par des pressions de ses genoux. Il s’était entraîné à cela
depuis l’époque où il avait commencé à monter sur un poney. Il avait passé des
heures à frapper une quintaine dans la cour de son père, et plus d’heures
encore à apprendre à des étalons à supporter le bruit et la mêlée d’une
bataille. Il déplaça son cheval légèrement sur la gauche afin d’ouvrir l’angle
de frappe des lances et diminuer ainsi la force de leur impact. Il remarqua que
l’étranger ne faisait rien pour se remettre en ligne et acceptait de diminuer
les risques. Puis les deux hommes éperonnèrent leurs montures et se mirent au
grand galop. Sir Simon appuya sur le flanc droit de son cheval et se remit en
ligne, filant droit sur son adversaire et se penchant un peu en avant pour se
préparer au choc. L’autre cavalier tenta de se tourner vers lui mais il était
trop tard. La lance frappa si fort l’écu blanc et noir que sir Simon en fut
repoussé au fond de sa selle, mais la lance de l’étranger, mal dirigée, cogna
contre l’écu et fut déviée.
La lance de sir Simon étant brisée en trois morceaux, il la
laissa tomber à terre et pressa des genoux pour faire tourner son cheval. Le
chevalier en armure noire était encombré de sa lance qui s’était mise de
travers. Sir Simon tira son épée et, pendant que l’autre était encore en train
d’essayer de se débarrasser de sa lance, il lui assena un coup d’épée semblable
à un coup de marteau.
L’assistance restait silencieuse. Henry Colley tendit la
main pour recevoir son gain. L’homme fit semblant de ne pas comprendre le
français approximatif de son interlocuteur mais il comprit aussitôt ce que
signifiait le couteau que l’Anglais aux yeux jaunes fit soudain apparaître et
l’argent surgit tout aussi soudainement.
Le chevalier à l’armure noire
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