La lance de Saint Georges
l’imagination, a été emportée en Angleterre par les Vexille.
Mon père était l’un d’eux, mais il s’est brouillé avec sa famille, a volé la
lance et l’a dissimulée dans son église. C’est là qu’il a été tué. Au moment de
sa mort, il m’a dit que son meurtrier était le fils de son frère, je pense que
c’est cet homme, mon cousin, qui se fait appeler Harlequin.
Se tournant vers frère Germain, il lui dit :
— Mon père était un Vexille, mais pas un hérétique. Il
était un pécheur, certainement mais il luttait contre ses péchés, il détestait
son propre père et se montrait loyal envers l’Église.
— Il était prêtre, expliqua messire Guillaume.
— Et vous êtes son fils ? demanda frère Germain
d’un ton désapprobateur.
Les autres moines abandonnèrent leur nettoyage pour écouter
avidement.
— Je suis fils de prêtre, dit Thomas, et bon chrétien.
— Ainsi la famille a découvert où la lance était
cachée, dit messire Guillaume en reprenant le fil de l’histoire, et m’a engagé
pour la récupérer. Mais a oublié de me payer.
Frère Germain sembla ne pas avoir entendu. Il ouvrait de
grands yeux sur Thomas.
— Vous êtes anglais ?
— L’arc est à moi.
— Alors vous êtes un Vexille ?
Thomas haussa les épaules.
— À ce qu’il semble.
— Alors vous êtes l’un des seigneurs noirs, dit frère
Germain.
— Je suis chrétien, dit fermement Thomas avec un geste
de dénégation.
— Dans ce cas, vous avez un devoir envers Dieu, dit le
petit homme avec une force surprenante, c’est de terminer ce qui est resté
inachevé il y a cent ans. Tuez-les, tuez-les tous ! Et tuez la femme. Vous
m’entendez, jeune homme ? Tuez la fille du roi du Sud avant que, par
séduction, elle ne conduise la France à l’hérésie et au mal.
— Si toutefois nous retrouvons les Vexille, dit messire
Guillaume d’un air dubitatif. Car ils n’exposent pas leurs armoiries et je
doute qu’il se servent du nom de Vexille. Ils se cachent.
— Mais ils ont la lance, maintenant, dit frère Germain,
et ils vont s’en servir pour la première de leurs vengeances. Ils vont détruire
la France et dans le chaos qui s’ensuivra ils attaqueront l’Église.
Il gémit comme sous l’effet d’une douleur physique.
— Vous devez leur retirer leur puissance, et leur
puissance, c’est le Graal.
Ainsi ce n’était pas seulement la lance que Thomas devait
récupérer. À la mission du père Hobbe s’ajoutait celle de sauver la chrétienté.
Il avait envie de rire. Le catharisme avait disparu une centaine d’années
auparavant, saccagé, brûlé, extirpé du pays comme le chiendent ! Seigneurs
noirs, filles de rois et princes des ténèbres étaient des produits de
l’imagination des troubadours, et non l’affaire des archers. Si ce n’est qu’en
regardant messire Guillaume, il vit que le Français ne prenait pas cela à la
plaisanterie. Il regardait fixement un crucifix sur le mur du scriptorium et
disait une prière en silence. Que Dieu me vienne en aide, pensa Thomas. On me
demande ce que les chevaliers du roi Arthur n’ont pas réussi à faire :
trouver le Graal.
Philippe de Valois, roi de France, ordonna que tout Français
en âge de prendre les armes se rende à Rouen. Il fit la même demande à ses
vassaux et envoya des messagers à ses alliés. Il avait pensé que les murs de
Caen retiendraient les Anglais pendant une semaine, mais la ville était tombée
en un jour et les survivants affolés se répandaient dans toute la France du
Nord en racontant de terribles histoires de diables déchaînés.
Rouen, nichée dans une grande boucle de la Seine, était
remplie de défenseurs. Des milliers d’arbalétriers génois étaient venus sur des
galères. Ils avaient amarré leurs bateaux sur la berge du fleuve et envahi les
tavernes de la ville. Dans le même temps, des chevaliers et des hommes d’armes
arrivaient d’Anjou, de Picardie, de Champagne, du Maine, de Touraine et du
Berry. Chaque atelier de forgeron devenait une fabrique d’armes, chaque maison
une caserne et chaque hôtel un bordel. Il arriva tant d’hommes que la ville ne
pouvait plus les loger. Il fallut monter des tentes dans les champs au sud de
la ville. Des chariots traversèrent le pont, chargés de foin et des céréales
récemment moissonnées dans les riches fermes au nord du fleuve. Par la rive sud
de la Seine arrivaient des rumeurs. Les Anglais avaient pris Evreux,
Weitere Kostenlose Bücher