La lance de Saint Georges
Gascons, des Bretons et même quelques Normands, et la moitié des
femmes sont françaises.
— Les femmes d’archers, est-ce que ce sont des femmes
bien ? demanda-t-elle avec un sourire désabusé.
— Certaines le sont, d’autres sont mauvaises,
répondit-il, mais je ferai de toi mon épouse et chacun saura que tu n’es pas
comme les autres.
Si Eléonore fut satisfaite de cette réponse, elle ne le
montra pas. Ils étaient désormais dans les rues détruites de Poissy, où une
arrière-garde d’archers leur cria de se dépêcher. Le pont de fortune allait
être détruit et les traînards de l’armée étaient poussés en avant sur les
planches. Le pont n’avait pas de parapet, il avait été confectionné dans la
précipitation au moyen de ce que les charpentiers avaient trouvé dans la ville
abandonnée. Le plancher inégal oscillait, craquait, ployait sous les chevaux de
Thomas et d’Eléonore. Le palefroi de celle-ci en fut si apeuré qu’il refusa
d’avancer jusqu’à ce que Thomas lui place un masque sur les yeux et le tire
tout tremblant. Il avançait lentement sur les planches entre lesquelles Thomas
pouvait voir le fleuve s’écouler. Ils furent parmi les derniers à traverser.
Une partie des chariots de l’armée avait été abandonnée à Poissy et leur
contenu avait été réparti sur les centaines de chevaux capturés au sud de la
Seine.
Quand les derniers retardataires furent passés, les archers
se mirent à jeter les planches dans le fleuve, détruisant ainsi le fragile
passage qui avait permis aux Anglais d’échapper au piège. Désormais, espérait le
roi Edouard, ils trouveraient de nouvelles terres à dévaster dans les grandes
plaines qui s’étendent entre la Seine et la Somme. Les trois corps d’armée se
répartirent sur la ligne de vingt miles de la chevauchée et, avançant vers le
nord, campèrent à peu de distance du fleuve.
Thomas se mit à la recherche des troupes du prince de Galles
pendant qu’Eléonore tentait d’ignorer les archers sales, en haillons et brûlés
par le soleil qui ressemblaient plus à des bandits qu’à des soldats. Ils
étaient censés préparer leurs abris pour la nuit, mais ils préféraient regarder
les femmes et leur adresser des propos obscènes.
— Que disent-ils ? demanda Eléonore à Thomas.
— Que tu es la plus belle personne de toute la France.
— Tu mens, dit-elle.
Aussitôt après, elle sursauta car un homme lui criait
quelque chose.
— N’ont-ils jamais vu de femme ?
— Pas comme toi. Ils doivent penser que tu es une
princesse.
Elle se moqua de cette réponse qui ne lui déplaisait pas.
Autour d’elle, il y avait des femmes partout. Elles rassemblaient du bois pour
le feu pendant que leurs hommes confectionnaient des abris. La plupart d’entre
elles parlaient français.
— Il y aura beaucoup de bébés l’année prochaine,
fit-elle observer.
— C’est vrai.
— Ils vont retourner en Angleterre ? demanda-t-elle.
— Certains, dit Thomas qui n’en était pas sûr, ou bien
ils rejoindront leur garnison en Gascogne.
— Si je t’épouse, demanda-t-elle, est-ce que je
deviendrai anglaise ?
— Oui, dit Thomas.
Il se faisait tard et les feux de cuisine fumaient déjà dans
les champs couverts de chaume, bien qu’il y eût peu de chose à cuisiner. Dans
chaque pâture paissaient des bandes de chevaux. Thomas savait que leurs propres
montures avaient besoin de repos, de nourriture et de soins. Il avait demandé à
de nombreux soldats où se trouvaient les hommes du prince de Galles, mais l’un
disait à l’est et un autre à l’ouest. Aussi, au crépuscule, ne sachant pas où
aller, dirigea-t-il leurs chevaux fatigués vers le village le plus proche.
L’endroit était bondé de soldats, mais Thomas et Eléonore trouvèrent un
emplacement assez tranquille au coin d’un champ et Thomas y fit un feu pendant
qu’Eléonore, l’arc noir bien en évidence à son épaule pour montrer qu’elle
faisait partie de l’armée, allait abreuver les chevaux dans une rivière. Ils
firent cuire leurs dernières provisions, après quoi, assis derrière la haie,
ils regardèrent les étoiles qui commençaient à briller au-dessus d’un bois
noir. Du village parvenaient des bruits de voix. Une femme chantait une chanson
française, dont Eléonore répéta les paroles à voix basse.
— Je me souviens que ma mère me la chantait, dit-elle
en prenant des brins d’herbe avec lesquels elle tressa un
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