La lance de Saint Georges
d’hommes allaient pieds nus et d’autres avançaient
péniblement avec des chaussures qui se délabraient. Ils disposaient de
suffisamment de chevaux, mais avaient peu de fers et de clous de rechange,
aussi les hommes conduisaient-ils leurs chevaux par la bride pour préserver
leurs sabots.
Il y avait de l’herbe pour nourrir les chevaux, mais peu de
grain pour les hommes. Ce qui faisait que les groupes d’approvisionnement
devaient parcourir de longues distances pour trouver des villages où les
paysans avaient dissimulé une partie de leur récolte. Devinant la vulnérabilité
des Anglais, les Français devenaient plus téméraires et les escarmouches
étaient fréquentes. Les hommes mangeaient des fruits acerbes qui leur donnaient
des maux de ventre. Certains pensaient qu’ils n’avaient d’autre choix que de
retourner en Normandie, mais d’autres savaient que l’armée se désintégrerait
bien avant d’avoir atteint la sécurité des ports normands. La seule issue
consistait à franchir la Somme pour rejoindre les places fortes anglaises en
Flandre, mais il n’y avait plus de ponts, ou bien ils étaient gardés et chaque
fois que l’armée traversait des zones marécageuses à la recherche d’un gué,
elle découvrait l’ennemi posté sur l’autre rive. Par deux fois les Anglais
tentèrent de forcer le passage, mais par deux fois les Français, bien à l’abri
sur des terrains plus élevés et secs, furent en mesure d’anéantir les archers
dans la rivière grâce aux arbalétriers génois dont ils avaient garni la rive.
C’est ainsi que les Anglais durent faire retraite vers l’ouest en se
rapprochant de l’embouchure, et chacun de leurs pas diminuait la possibilité de
trouver un passage puisque la rivière devenait plus large et plus profonde. Ils
marchèrent pendant huit jours. Huit jours de famine et de frustration.
Un jour, en fin d’après-midi, Will Skeat, préoccupé, avertit
ses hommes d’économiser leurs flèches. Ils établissaient leur campement près
d’un petit village déserté qui était aussi vide et dénudé que tous les autres
lieux qu’ils avaient trouvés depuis leur traversée de la Seine.
— Nous allons avoir besoin de chacune de nos flèches
pour une bataille et Dieu sait que nous n’en avons pas à gaspiller.
Une heure plus tard, alors que Thomas cherchait des mûres
dans une haie, une voix l’appela d’une hauteur :
— Thomas, amène tes os par ici !
En se retournant, Thomas vit Will Skeat sur le clocher de la
petite église du village. Il y courut, grimpa à l’échelle, dépassa une poutre
où avait été accrochée la cloche que les villageois avaient emportée, puis se
hissa sur le toit plat du clocher où s’entassaient déjà une demi-douzaine
d’hommes, parmi lesquels se trouvait le comte de Northampton qui adressa à
Thomas un regard ironique.
— J’ai entendu dire que tu avais été pendu !
— J’ai survécu, monseigneur, dit Thomas d’un air
sombre.
Le comte hésita. Il se demandait s’il devait interroger
Thomas pour savoir si sir Simon Jekyll avait été le bourreau, mais cette
querelle n’avait plus lieu d’être. Sir Simon s’était enfui et l’accord qu’il
avait passé avec le comte était nul. Il se contenta donc de grimacer.
— Personne ne peut tuer un rejeton du diable, n’est-ce
pas ? dit-il avant de montrer quelque chose vers l’est.
Thomas regarda dans le crépuscule et aperçut une armée en
marche.
Elle se trouvait au loin, sur la rive nord de la rivière qui
coulait tout près entre de vastes étendues de roseaux, mais Thomas put voir que
des lignes de cavaliers, de chariots, de fantassins et d’arbalétriers
emplissaient chaque route et chaque sentier. Cette armée s’approchait d’une
ville fortifiée. C’était Abbeville, dit le comte. Un pont traversait la rivière
et Thomas, en regardant ces lignes noires qui serpentaient en direction du
pont, eut l’impression que les portes de l’enfer s’étaient ouvertes pour
déverser une immense horde armée de lances, d’épées et d’arbalètes. Puis il se
souvint que messire Guillaume se trouvait là-bas, fit le signe de croix et dit
une prière silencieuse pour que le père d’Eléonore survive.
— Doux Jésus, dit Skeat qui avait pris le geste de
Thomas pour une réaction de peur, ils en veulent vraiment à nos âmes.
— Ils savent que nous sommes fatigués, dit le comte,
ils savent que nous allons finir par manquer de flèches,
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