La lance de Saint Georges
temps, il grimpait sur le toit de la chapelle et
regardait de l’autre côté du gué. À chaque fois, il découvrait un plus grand
nombre de feux parmi les arbres. Les Français, se disait-il, avaient disposé là
des forces importantes, ce qui n’était pas étonnant. Il s’agissait du dernier
moyen de s’échapper, par conséquent ils le bloquaient. Mais Thomas mit malgré
tout le feu aux cabanes pour indiquer aux Anglais où se situait ce passage.
Les flammes rugirent dans la nuit en projetant des
étincelles au-dessus des marais. Les archers avaient trouvé un peu de poisson
séché pendu au mur de l’une des huttes et cela, accompagné d’eau saumâtre,
constitua leur dîner. Ils étaient d’humeur maussade.
— Nous aurions dû rester en Bretagne, dit l’un.
— Ils vont nous coincer, observa un autre qui avait
confectionné une flûte avec un roseau sec et jouait un air mélancolique.
— Nous avons des flèches, dit un troisième.
— Suffisamment pour tuer tous ces salauds ?
— Il faudra bien.
Le joueur de flûte produisit quelques notes, puis cela
l’ennuya et il jeta l’instrument dans le feu le plus proche. Cette nuit mettait
la patience de Thomas à rude épreuve. Il repartit vers la chapelle mais, au lieu
de grimper sur son toit, il en ouvrit la porte branlante puis les volets de
l’unique fenêtre afin de laisser pénétrer un peu de la lumière du feu. Il
découvrit alors que ce n’était pas à proprement parler une chapelle mais un
sanctuaire de pêcheurs. L’autel était constitué de planches de bois décolorées
par la mer, posées sur deux barils cassés. Sur cet autel, il y avait une sorte
de poupée assez grossière, enveloppée de tissu blanc et coiffée d’une couronne
de brins d’algues séchés. À Hookton, les pêcheurs avaient parfois construit de
semblables sanctuaires, surtout lorsqu’un bateau était perdu en mer. Le père de
Thomas les avait toujours détestés. Il en avait même brûlé un en disant que
c’était de l’idolâtrie, mais Thomas pensait que les pêcheurs en avaient besoin.
La mer était cruelle et la poupée représentait peut-être une sainte locale. Les
femmes dont les maris étaient partis en mer depuis longtemps pouvaient ainsi
venir prier la sainte pour lui demander de faire revenir le bateau.
Le toit du sanctuaire était si bas qu’on était plus à l’aise
à genoux. Thomas dit une prière. « Accordez-moi de survivre, implora-t-il,
faites que je vive. » Et il se mit à penser à la lance, à frère Germain, à
messire Guillaume et à leur crainte qu’un mal nouveau, venu des seigneurs
noirs, ne mijote dans le sud. Ce n’est en aucun cas ton affaire, se dit-il,
c’est de la superstition. Les cathares ont disparu, brûlés sur les bûchers de
l’Église et partis en enfer. « Méfie-toi des fous », l’avait prévenu
son père, et qui mieux que le père Ralph en savait quelque chose ? Mais
était-il un Vexille ? Thomas inclina la tête et pria Dieu de le préserver
de la folie.
— Pour quoi pries-tu, à présent ? demanda soudain
une voix qui fit sursauter Thomas.
Il se retourna. Le père Hobbe tout sourire était sur le pas
de la porte. Au cours des derniers jours, il lui était arrivé de bavarder avec
le prêtre, mais il n’avait jamais été seul à seul avec lui. Thomas n’était pas
sûr de le souhaiter d’ailleurs, car la présence du père Hobbe lui rappelait sa
pénitence.
— Je prie pour que nous ayons plus de flèches, mon
père.
— Plaise à Dieu de répondre à ta prière, dit le père
Hobbe en s’avançant sur le sol de terre battue, j’ai eu un mal du diable à
trouver mon chemin dans le marais, mais je voulais te parler. J’ai eu
l’impression que tu m’évitais ces derniers temps.
— Père ! dit Thomas d’un ton de reproche.
— Eh bien, te revoilà parmi nous, et en plus avec une
belle fille ! Je te le dis, Thomas, tu es sous le charme. Si on te forçait
à lécher le derrière d’un lépreux, tu n’y trouverais que douceur. Ils ne
peuvent même pas te pendre !
— Ils le peuvent, dit Thomas, mais mal.
— Remercie Dieu ! dit le prêtre avant d’ajouter
avec un sourire : Où en est ta pénitence ?
— Je n’ai pas retrouvé la lance, répondit brièvement
Thomas.
— Mais l’as-tu cherchée ?
Après cette question, le père Hobbe tira un pain de sa
besace. Il rompit la petite miche et en tendit la moitié à Thomas.
— Ne me demande pas où je l’ai
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