La lance de Saint Georges
vie. Et si nous
perdons, poursuivit-il en haussant les épaules, prends tes jambes à ton cou, va
dans la forêt et cache-toi là-bas.
— Que dit-il ? demanda Eléonore.
— Que ça devrait être facile aujourd’hui.
— Tu mens mal, Thomas.
— Il y a simplement qu’ils sont trop nombreux, dit
Skeat comme s’il se parlait à lui-même. Tommy Dugdale s’est trouvé dans des
situations bien pires en Bretagne, Tom, mais il avait beaucoup de flèches.
Nous, on en manque.
— Ça va aller, Will.
— Peut-être bien.
Skeat s’écarta du chariot.
— Allez devant tous les deux, j’ai besoin d’être tranquille
un instant.
Thomas et Eléonore repartirent vers le nord, où la ligne de
bataille anglaise était en train de se former. Les bannières étaient entourées
d’hommes d’armes se mettant en place, les archers se disposaient devant chaque
formation et les maréchaux munis de bâtons blancs s’assuraient qu’il y avait
des passages permettant aux archers de s’échapper si les cavaliers
s’approchaient trop. On avait apporté les lances du village. Elles étaient
remises aux hommes d’armes du premier rang. Si les Français franchissaient les
trous et les archers, on s’en servirait comme de piques.
Au milieu de la matinée, toute l’armée était rassemblée sur
la colline. Elle paraissait beaucoup plus importante qu’elle ne l’était en
réalité parce que de nombreuses femmes étaient restées avec leurs hommes. Elles
étaient assises dans l’herbe, ou bien s’étaient allongées et dormaient. Le
soleil apparut et disparut, faisant courir des ombres dans la vallée. Les trous
étaient creusés, les ribaudequins étaient chargés. Sur l’autre colline, il y
avait peut-être un millier de Français qui les observaient, mais aucun ne
s’aventura à descendre la pente.
— Au moins, ça vaut mieux que marcher, ça nous donne
une chance pour la suite, dit Jake.
— Ce sera facile, remarqua Sam en désignant la colline
opposée, ils ne sont pas nombreux.
— C’est seulement l’avant-garde, pauvre ahuri, dit
Jake.
Thomas gardait le silence. Il imaginait l’armée française
qui s’étendait sur la route d’Abbeville. Ils devaient tous savoir que les Anglais
avaient cessé leur course, qu’ils attendaient, et sans aucun doute les
Français, pleins de confiance, se dépêchaient de peur de manquer la bataille.
Il fit un signe de croix et Eléonore, devinant sa peur, posa
sa main sur son bras.
— Tout se passera bien pour toi, lui dit-elle.
— Pour toi aussi, mon amour.
— Te souviens-tu de la promesse que tu as faite à mon
père ? lui demanda-t-elle.
Thomas acquiesça, mais il ne parvenait pas à se convaincre
qu’il allait voir la lance de saint Georges ce jour-là. Cette journée
appartenait à la réalité, tandis que la lance relevait d’un monde mystérieux
auquel Thomas voulait rester étranger. Tout le monde, pensa-t-il, portait un
intérêt passionné à cette relique, mais lui, qui avait une bonne raison de
découvrir la vérité, se sentait indifférent. Il aurait voulu n’avoir jamais vu
cette lance, et que l’homme qui se faisait appeler Harlequin ne soit jamais
venu à Hookton, mais si les Français n’avaient pas débarqué, songea-t-il, il ne
serait pas en train de porter cet arc noir, ne se trouverait pas sur ce flanc
de colline verdoyant et n’aurait pas rencontré Eléonore. On ne peut pas tourner
le dos à Dieu, se dit-il.
— Si j’aperçois la lance, promit-il à Eléonore, je
combattrai pour elle.
C’était sa pénitence, et pourtant il espérait bien n’avoir
pas à l’exécuter.
Pour le repas de midi, ils mangèrent du pain moisi. Les
Français, qui formaient une masse sombre sur l’autre colline, étaient bien trop
nombreux pour qu’on puisse les compter. Les premiers éléments de leur infanterie
étaient arrivés. Il y eut une averse. Les archers qui avaient laissé leur corde
pendre à une extrémité de leur arc se hâtèrent de la rouler et de la cacher
sous leur casque, mais la petite pluie passa. Le vent agita les herbes.
Les Français continuaient à arriver sur la colline. C’était
une horde. Ils étaient venus à Crécy pour prendre leur revanche.
12
Les Anglais attendaient. Deux des archers de Skeat jouaient
du pipeau, tandis que les hobelars, qui aidaient à la protection des bombardes
sur les flancs de l’armée, chantaient des chansons évoquant les vertes forêts
et les eaux vives. Certains
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