La lance de Saint Georges
trouvait à la
lisière du bois à côté d’une pile de gerbes à peine déchargées d’un chariot.
Il s’interrompit brusquement.
— Bon Dieu, dit-il en regardant Thomas, on dirait qu’un
rat t’a mangé les cheveux. Pourtant ça te va bien. Tu as enfin l’air d’un
adulte. Les flèches, reprit-il, ne les gaspillez pas.
Il jeta les gerbes une par une aux archers.
— On a l’impression qu’il y en a beaucoup, mais, foutus
lépreux que vous êtes, vous n’avez pour la plupart jamais participé à une vraie
bataille, et les batailles avalent les flèches comme les putains avalent les…
Bonjour, père Hobbe !
— Vous me mettez une gerbe de côté, Will ?
— Ne les gaspillez pas sur les pécheurs, dit Will en
jetant un paquet de flèches au prêtre, tuez plutôt quelques bien-pensants de
Français.
— Cela n’existe pas, Will. Ils sont tous des valets de
Satan.
Thomas versa une gerbe dans son sac de flèches et en passa
une autre dans sa ceinture. Il avait une paire de cordes d’arc à l’intérieur de
son casque, à l’abri de la pluie qui menaçait. Le forgeron qui était venu au
camp des archers avait martelé les ébréchures sur les épées, les haches, les
coutelas et les serpes, puis il avait aiguisé les lames avec une pierre. Ce
forgeron avait été un peu partout dans l’armée. Il disait que le roi était allé
vers le nord pour reconnaître le champ de bataille, mais il pensait que les
Français ne se présenteraient pas avant le lendemain.
— Beaucoup de sueur pour rien, avait-il grommelé en
repassant l’épée de Thomas.
Puis, regardant la longue lame :
— C’est du travail français.
— De Caen.
— Tu pourrais en tirer un penny ou deux… bon acier.
Vieux, bien sûr, mais bon.
Les archers, ayant reçu leur dotation de flèches, placèrent
leurs affaires personnelles sur un chariot qui allait rejoindre les bagages de
l’armée. L’un d’entre eux, souffrant du ventre, le garderait et un autre
invalide surveillerait leurs chevaux. Will Skeat fit partir le chariot puis
jeta un coup d’œil à ses archers rassemblés.
— Les salauds arrivent, gronda-t-il. Si ce n’est pas
aujourd’hui, ce sera demain, et ils sont plus nombreux que nous. Ils n’ont pas
faim, ils ont tous des bottes et, comme ce sont des Français, ils sont
persuadés que leurs étrons sentent la rose, mais ils meurent comme tout le
monde. Visez les chevaux et vous vivrez jusqu’au coucher du soleil. Et
souvenez-vous qu’ils n’ont pas de bons archers, c’est pourquoi ils vont perdre.
Ce n’est pas difficile à comprendre. Gardez la tête froide, visez les chevaux,
ne gaspillez pas les flèches et obéissez aux ordres. Et maintenant, les gars,
allons-y.
Ils traversèrent la rivière peu profonde, parmi de nombreux
groupes d’archers qui émergeaient des arbres pour passer en file dans le
village de Crécy où des chevaliers allaient et venaient. Ces derniers
appelaient un écuyer ou un page pour resserrer une lanière ou desserrer une
boucle afin de se sentir à l’aise dans leur armure. Les chevaux, attachés bride
à bride, furent conduits sur l’arrière de la colline et placés à l’intérieur
d’un cercle de chariots avec les femmes, les enfants et les bagages. Le prince
de Galles, cuirassé depuis la taille jusqu’aux pieds, mangeait une pomme verte
près de l’église. Il fit distraitement un signe de tête lorsque les hommes de
Skeat ôtèrent respectueusement leurs casques. On ne voyait Jeannette nulle
part. Thomas se demanda si elle avait fui par ses propres moyens, puis se dit
que ça lui était indifférent.
Eléonore, qui marchait auprès de lui, posa la main sur son
sac de flèches.
— As-tu assez de flèches ?
— Cela dépend du nombre de Français qui viendront.
— Combien y a-t-il d’Anglais ?
La rumeur voulait que l’armée compte à présent huit mille
hommes, la moitié d’entre eux étant des archers. Thomas considérait que ce
devait être à peu près exact. Il donna ce chiffre à Eléonore qui fronça les
sourcils.
— Et combien y a-t-il de Français ?
demanda-t-elle.
— Seuls les grands seigneurs le savent, dit Thomas,
persuadé qu’ils étaient bien plus de huit mille.
Seulement il n’y pouvait rien. Aussi, en montant avec les
autres archers vers le moulin à vent, s’efforça-t-il d’oublier la disparité des
forces.
Ils dépassèrent la crête et virent une longue pente devant
eux. Un instant, Thomas eut
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