La lance de Saint Georges
dansaient comme ils l’auraient fait dans leur
village, d’autres dormaient, beaucoup jouaient aux dés et tous ceux qui
n’étaient pas endormis regardaient sans cesse par-delà la vallée vers l’autre
colline où il y avait de plus en plus d’hommes.
Jake avait un morceau de cire d’abeille enveloppé dans un
linge qu’il faisait circuler parmi les archers pour qu’ils en enduisent leur
arc. Ce n’était pas une opération nécessaire, juste une manière de s’occuper.
— Où as-tu trouvé cette cire ? lui demanda Thomas.
— Je l’ai volée, bien sûr, à un imbécile d’homme
d’armes. C’était pour cirer sa selle, je pense.
Une discussion commença sur la question de savoir quel bois
faisait les meilleurs arcs. C’était un vieux débat, mais il permettait de
passer le temps. Chacun savait que c’était le frêne, mais il y avait des gens
qui aimaient à prétendre que le bouleau, le charme ou même le chêne donnaient
un aussi bon résultat. L’aulne, bien que lourd, était bon pour la chasse au
cerf, mais il n’avait pas une portée suffisante pour la bataille.
Sam prit l’une de ses nouvelles flèches et montra à chacun
combien la tige était déformée.
— Ça doit être du prunellier, se plaignit-il amèrement,
on pourrait tirer dans les coins avec ça.
— Ils ne font plus les flèches comme avant, dit Will
Skeat.
Ses archers l’acclamèrent car c’était une vieille
complainte.
— C’est vrai, dit Skeat, tout est fait à la va-vite et
le savoir-faire se perd de nos jours. Qui s’en soucie ? Ces couillons sont
payés à la pièce et les gerbes sont envoyées à Londres. Personne ne les regarde
jusqu’à ce qu’elles nous parviennent. Et nous, qu’est-ce qu’on fait ?
Regardez !
Il prit la flèche de Sam et la tourna entre ses doigts.
— Ce n’est pas de la plume d’oie ! C’est de la
saloperie de plume de moineau. On ne peut rien en faire, à part se gratter le
cul avec.
Il jeta la flèche à Sam.
— Non, un archer digne de ce nom fabrique ses flèches
lui-même.
— C’est ce que je faisais, dit Thomas.
— Mais maintenant tu es devenu sacrément paresseux,
n’est-ce pas, Tom ?
Le sourire de Skeat s’éteignit lorsqu’il vit l’autre côté de
la vallée.
— Ça commence à suffire, grommela-t-il en regardant les
Français qui se rassemblaient.
Il fit une grimace quand une goutte de pluie tomba sur ses
vieilles bottes.
— Je voudrais bien, continua-t-il, qu’il pleuve une
bonne fois pour toutes et qu’on n’en parle plus. Il le faut. Si ça nous pisse
dessus pendant que ces salauds nous attaquent, on ferait bien de courir chez
nous, parce que les arcs ne pourront pas tirer.
Assise à côté de Thomas, Eléonore observait l’autre colline.
Là-bas, les hommes étaient désormais au moins aussi nombreux que l’armée
anglaise, et le corps principal commençait seulement à arriver. Des hommes
d’armes montés se répandaient sur la colline et se répartissaient en conrois.
Un conroi constituait l’unité de base des chevaliers ou des hommes d’armes. Il
comprenait généralement entre douze et vingt hommes, mais ceux qui constituaient
la garde personnelle des grands seigneurs étaient bien plus importants. Il y
avait tellement de cavaliers en haut de la colline qu’ils devaient descendre
sur la pente, ce qui se traduisait par un flot de couleurs car les hommes
d’armes portaient le blason de leur seigneur sur leur surcot et les chevaux
étaient revêtus de housses chamarrées. Les bannières françaises y ajoutaient
des teintes bleues, rouges, jaunes et vertes. Pourtant, malgré toutes ces
couleurs, ce qui prédominait c’était le gris acier des cuirasses et des cottes
de mailles. Devant les cavaliers apparurent les premières jaquettes vert et
rouge des arbalétriers génois. Ils n’étaient encore qu’une poignée, mais il
s’en déversait de plus en plus depuis le sommet de la colline.
On entendit une acclamation dans les rangs anglais. Thomas
vit que des archers se mettaient sur leurs pieds. Sa première pensée fut que
les Français attaquaient, mais on ne voyait pas de cavaliers ennemis et aucune
flèche ne volait.
— Debout ! cria soudain Skeat. Levez-vous !
— Que se passe-t-il ? demanda Jake.
C’est alors que Thomas aperçut les cavaliers. Ce n’étaient
pas des Français mais une douzaine d’Anglais qui chevauchaient le long de la
ligne de front en s’écartant soigneusement des trous
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