La lance de Saint Georges
Non !
Thomas eut un tressaillement.
— L’après-midi doit être bien avancée, mon père. S’ils
n’attaquent pas tout de suite, ils vont attendre jusqu’à demain. Cela leur
donnera toute une journée pour nous massacrer.
— Ah, Thomas, si tu savais comme Dieu t’aime !
Thomas ne répondit rien, mais il se disait que tout ce qu’il
désirait c’était être un archer et devenir sir Thomas de Hookton tout comme
Skeat était devenu sir William. Il était heureux de servir le roi et n’avait
pas besoin qu’une entité divine le mêle à d’étranges combats contre les
seigneurs noirs.
— Laissez-moi vous donner un conseil, mon père, dit-il.
— Ils sont toujours les bienvenus, Tom.
— Le premier qui tombe, récupérez son casque et sa
cotte de mailles. Et prenez garde à vous.
Le père Hobbe donna à Thomas une claque dans le dos.
— Dieu est de notre côté. Tu as entendu ce qu’a dit le
roi.
Il se releva et s’en alla parler avec d’autres hommes.
Thomas resta seul, regardant la pluie qui diminuait enfin. Il pouvait à nouveau
distinguer les arbres au loin, les couleurs des bannières françaises et des
surcots. À présent il voyait une grande masse d’arbalétriers en rouge et vert.
Ils ne se préparaient pas, pensa-t-il, car les cordes d’arbalète craignaient
l’humidité comme les autres.
— Ce sera pour demain, dit-il à Jake. On recommencera
tout demain.
— Espérons que le soleil brillera, dit Jake.
Le vent amena les dernières gouttes de pluie. Il était tard.
Thomas se leva, s’étira et tapa du pied. Une journée de gâchée, se dit-il, avec
la perspective d’une nuit de famine.
Demain, ce serait sa première vraie bataille.
Un groupe excité s’était rassemblé autour du roi de France,
qui était encore à un quart de lieue de la colline où la plus grande partie de
son armée avait pris position. Au moins deux mille hommes d’armes de
l’arrière-garde étaient encore en route, mais ceux qui avaient atteint la
vallée dépassaient déjà de beaucoup les Anglais en nombre.
— Deux contre un, sire ! s’écria véhémentement
Charles d’Alençon, le jeune frère du roi.
Son surcot, comme celui des autres cavaliers, était imprégné
d’eau et la teinture de son blason avait coulé sur le fond blanc. La pluie
perlait sur son heaume.
— Il faut les tuer tout de suite ! insista le comte.
Mais l’instinct de Philippe de Valois lui conseillait
d’attendre. Il serait plus sage, pensait-il, de laisser toute l’armée se
rassembler, de faire une reconnaissance et d’attaquer le lendemain. Mais il
savait aussi que ses compagnons, et en particulier son frère, le trouvaient
trop prudent. Ils le considéraient même comme un timide parce que jusqu’ici il
avait évité une bataille frontale avec les Anglais. Proposer d’attendre
simplement un jour leur ferait penser qu’il n’avait pas l’aplomb nécessaire pour
la tâche la plus difficile des rois. Il s’aventura néanmoins à suggérer que la
victoire serait d’autant plus complète si on attendait un jour.
— Si vous attendez, répondit Alençon d’un ton cinglant,
Edouard s’éclipsera pendant la nuit et demain nous aurons devant nous une
colline vide.
— Ils sont mouillés, fatigués et affamés. Ils sont
prêts à être massacrés, insista le duc de Lorraine.
— Et s’ils ne partent pas, sire, prévint le comte de Flandre,
ils auront du temps pour creuser des trous et des tranchées.
— Les signes sont favorables, ajouta Jean de Hainaut,
seigneur de Beaumont et proche compagnon du roi.
— Les signes ? demanda le roi.
Jean de Hainaut fit approcher un homme vêtu d’un manteau
noir. Ce personnage, qui portait une longue barbe noire, s’inclina très bas.
— Le soleil, sire, dit-il, est en conjonction avec
Mercure et en opposition à Saturne. Mieux encore, noble sire, Mars est dans la
maison de la Vierge. Cela indique une victoire, le moment ne saurait être plus
propice.
Philippe se demanda combien d’or on avait versé à
l’astrologue pour venir faire cette prophétie. Pourtant il était tenté d’y
croire. Il trouvait peu sage d’entreprendre quoi que ce soit sans consulter
l’horoscope, mais où donc était son propre astrologue ? Probablement
encore sur la route.
— Allons-y tout de suite ! le pressa son frère
Alençon.
Guy Vexille, comte d’Astarac, poussa son cheval au sein du
groupe dense qui entourait le roi. Il aperçut un
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