La lance de Saint Georges
son embuscade. Au moins, sir Simon avait fui vers l’ouest, à l’opposé de
ses deux hommes d’armes et il était nu, perdant son sang et désarmé. Une proie
facile, se dit Thomas en suivant les gouttes de sang parmi les arbres. La piste
allait vers l’ouest puis vers le sud. Les gouttes de sang devenaient plus
petites. Manifestement, sir Simon essayait de retrouver ses compagnons. Thomas,
abandonnant toute précaution, se mit à courir avec l’espoir d’abattre le
fugitif. Au sortir d’un bosquet de noisetiers, il aperçut sir Simon qui
boitait, courbé en deux. Thomas tendit l’arc mais juste à ce moment-là Colley
et l’écuyer apparurent. Tous deux avaient l’épée haute et éperonnaient leurs
chevaux en direction de Thomas. Celui-ci visa le plus proche et tira sans
réfléchir, comme doit le faire un bon archer. La flèche frappa l’écuyer à la
poitrine, le repoussant sur sa selle. L’épée tomba sur le sol et le cheval se
déporta vers sa gauche, prenant la direction de sir Simon.
Colley tourna bride et rejoignit sir Simon qui s’accrocha à
sa main tendue et, moitié porté, moitié courant, s’enfonça sous les arbres.
Thomas avait pris une autre flèche dans son sac, mais le temps de tirer, les
deux hommes étaient déjà à demi dissimulés par les arbres. La flèche toucha une
branche et se perdit parmi les feuilles.
Thomas jura. Colley avait regardé Thomas en face un court
instant. Sir Simon aussi l’avait vu, et Thomas, une troisième flèche en place,
n’avait devant lui que des arbres et comprenait que tout s’effondrait. En un
instant. Tout.
Il retourna en courant vers la clairière près du cours
d’eau.
— Il faut que vous rameniez la comtesse en ville,
dit-il à Jake et à Sam, mais pour l’amour du Christ soyez prudents. Ils vont se
mettre à notre poursuite bientôt. Il faudra que vous reveniez sans vous faire
remarquer.
Ils le regardèrent sans comprendre, alors Thomas leur
expliqua ce qui s’était passé. Comment il avait tué l’écuyer de sir Simon, ce
qui faisait de lui un meurtrier et un fugitif. Sir Simon et Colley l’avaient
vu. Ils seraient à la fois témoins à son procès et officiants à son exécution.
Il expliqua la même chose à Jeannette en français.
— Vous pouvez faire confiance à Jake et à Sam, lui
dit-il. Mais il ne faut pas vous faire prendre en retournant chez vous. Il faut
être prudente !
Jake et Sam discutèrent, mais Thomas connaissait les
conséquences de sa flèche mortelle.
— Racontez à Will ce qui s’est passé, leur dit-il,
mettez tout sur moi et dites-lui que je l’attendrai à Quatre-Vents.
C’était un village que les hellequins avaient saccagé, au
sud de La Roche-Derrien.
— Dites-lui que j’aimerais avoir son conseil.
Jeannette essaya de le persuader qu’il s’affolait pour rien.
— Ils ne vous ont peut-être pas reconnu,
suggéra-t-elle.
— Ils m’ont reconnu, madame, dit-il en lui souriant
tristement. Je suis désolé, mais au moins vous avez l’armure et l’épée de votre
mari. Cachez-les bien.
Il se mit en selle sur le cheval de sir Simon.
— Quatre-Vents, rappela-t-il à Jake et Sam.
Puis il partit vers le sud à travers bois.
Il était un meurtrier, un homme recherché, un fugitif, ce
qui voulait dire qu’il pouvait être la proie de n’importe qui, qu’il était seul
dans le désert qu’avaient créé les hellequins. Il n’avait pas la moindre idée
de ce qu’il devait faire ni de l’endroit où il pouvait aller. Il ne savait
qu’une chose, c’est que pour survivre il devait chevaucher comme le cavalier du
diable qu’il était.
Et c’est ce qu’il fit.
5
Quatre-Vents avait été un petit village, à peine plus grand
que Hookton, avec une triste petite église semblable à une grange, un groupe de
maisons où vaches et humains partageaient le même toit de chaume, un moulin à
eau et quelques fermes blotties dans des vallées abritées. Il ne restait plus à
présent que les murs de pierre de l’église et du moulin ; le reste n’était
que cendre, poussière et herbes sauvages. Le verger à l’abandon était en pleine
floraison lorsque Thomas arriva sur un cheval blanc de sueur après une longue
course. Il laissa l’étalon brouter l’herbe haute d’une pâture bien enclose par
une haie et s’en alla dans les bois, au-dessus de l’église. Il était ébranlé,
nerveux et effrayé. Ce qui paraissait un jeu avait plongé sa vie dans les
ténèbres.
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