La lance de Saint Georges
Quelques heures auparavant, il était un archer de l’armée anglaise
et, bien que son avenir n’ait pas eu beaucoup d’attrait pour les jeunes hommes
avec lesquels il s’était battu à Oxford, il était certain de s’élever au moins
aussi haut que Will Skeat. Il s’était imaginé conduisant un groupe de soldats,
devenant riche, allant avec son arc noir vers la fortune et peut-être un rang,
et voilà qu’il était un homme pourchassé. Il était tellement affolé qu’il se
mit à douter de la réaction de Skeat, craignant que celui-ci ne soit tellement
dégoûté par l’échec de l’embuscade qu’il ne vienne l’arrêter pour le ramener à
La Roche-Derrien où il finirait au bout d’une corde sur la place du marché. Il
avait peur que Jeannette ait été capturée en retournant en ville.
L’accuserait-on de meurtre elle aussi ? La nuit qui tombait le fit
frissonner. Il avait vingt-deux ans, son échec était complet, il était seul et
perdu.
Il se réveilla dans une aube froide et pluvieuse. Les
lièvres se poursuivaient dans la pâture où le destrier de sir Simon tondait
l’herbe. Thomas ouvrit la bourse qu’il gardait sous sa cotte de mailles et
compta les pièces. Il y avait l’or qui provenait du sac de selle de sir Simon
et quelques pièces à lui. Il n’était donc pas démuni, mais comme la plupart des
hellequins il laissait l’essentiel de son argent à la garde de Will Skeat. Même
quand la compagnie partait en expédition, quelques hommes restaient à La
Roche-Derrien pour surveiller le trésor. Qu’allait-il faire ? Il avait un
arc, quelques flèches, il pouvait peut-être aller en Gascogne, bien qu’il n’eût
pas la moindre idée de la distance de cette province, mais il savait au moins
qu’il y avait là-bas des garnisons anglaises qui seraient certainement
heureuses d’accueillir un archer bien entraîné. Ou bien il pouvait traverser la
Manche ? Rentrer chez lui, prendre un autre nom, repartir de zéro –
seulement il n’avait plus de « chez lui ». Ce qu’il fallait surtout
éviter, c’était de se trouver à une longueur de corde de sir Simon Jekyll.
Les hellequins arrivèrent un peu après midi. Les archers entrèrent
dans le village les premiers, suivis par les hommes d’armes qui escortaient un
chariot muni d’arceaux couverts d’une toile marron qui battait au vent. Il
était tiré par un unique cheval. Le père Hobbe et Will Skeat chevauchaient à la
hauteur du véhicule, ce qui surprit Thomas car jusque-là les hellequins
n’avaient jamais utilisé pareil moyen de transport. Mais à ce moment Skeat et
le prêtre se séparèrent des hommes d’armes et éperonnèrent leurs chevaux en
direction du champ où broutait l’étalon.
Les deux hommes s’arrêtèrent près de la haie. Skeat mit ses
mains en porte-voix et cria vers les bois :
— Sors de là, sombre idiot !
Thomas sortit très timidement, ce qui lui valut une
acclamation ironique des archers. Skeat le considéra sans aménité.
— Par les os du Christ, Tom, le diable a fait une
mauvaise action quand il a engrossé ta mère.
Le père Hobbe eut une mimique réprobatrice en entendant le
blasphème de Skeat, puis il leva une main en signe de bénédiction.
— Tu as raté un beau spectacle, Tom, dit-il
chaleureusement. Sir Simon rentrant à La Roche, à demi nu et saignant comme un
cochon. Je vais entendre ta confession avant que nous repartions.
— Ne souris pas, pauvre crétin, intervint brusquement
Skeat. Doux Jésus, Tom, si tu entreprends un travail, fais-le proprement.
Fais-le proprement ! Pourquoi as-tu laissé cette crapule en vie ?
— Je l’ai raté.
— Alors tu te mets à tuer un pauvre diable d’écuyer à
la place. Mais tu es vraiment une sacrée andouille.
— Je suppose qu’ils veulent me pendre ? demanda
Thomas.
— Oh non, répondit Skeat avec une feinte surprise, bien
sûr que non ! Ils veulent t’honorer, mettre des guirlandes autour de ton
cou et te donner une douzaine de vierges pour réchauffer ton lit. Qu’est-ce que
tu crois qu’ils veulent te faire, bon sang ? Bien sûr qu’ils veulent te
voir mort, et j’ai juré sur la vie de ma mère que je te ramènerais si je te
trouvais vivant. Est-ce qu’il vous paraît vivant, mon père ?
Le père Hobbe examina Thomas.
— Il me paraît tout à fait mort, maître Skeat.
— Il le mérite, d’être mort, le corniaud.
— La comtesse est-elle rentrée saine et sauve ?
demanda
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