La lance de Saint Georges
portée à croire que le duc lui ferait bon
accueil, car elle avait désespérément besoin d’un asile pour son fils, Charles,
que cette aventure dans un chariot oscillant et craquant amusait beaucoup. Ensemble,
ils construiraient une nouvelle vie à Guingamp, et Jeannette s’était réveillée
pleine d’optimisme à cette pensée. Elle avait dû quitter La Roche-Derrien dans
une grande précipitation, ne mettant dans le chariot que l’armure, l’épée et
quelques vêtements. Elle avait aussi un peu d’argent, que Thomas soupçonnait
Skeat de lui avoir donné, mais ses espoirs véritables reposaient sur le duc
Charles, lequel, dit-elle à Thomas, lui trouverait une maison et lui avancerait
de l’argent sur les rentes de Plabennec.
— Il va sûrement aimer Charles, vous ne pensez
pas ? demanda-t-elle à Thomas.
— J’en suis certain, dit Thomas en regardant le fils de
Jeannette qui agitait les rênes et faisait claquer sa langue dans un vain
effort pour inciter le cheval à aller plus vite.
— Et vous, qu’allez-vous faire ? lui
demanda-t-elle.
— Je vais survivre, dit Thomas qui répugnait à admettre
qu’il ne savait pas ce qu’il allait faire.
Aller en Flandre, probablement, s’il pouvait jamais y
parvenir. Rejoindre une troupe d’archers et prier chaque nuit que sir Simon ne
croise pas à nouveau sa route. Quant à sa pénitence, à la lance, il n’avait pas
la moindre idée de la façon de la retrouver et, l’ayant retrouvée, de la
rapporter.
Au cours de ce deuxième jour de voyage, Jeannette décida que
Thomas était un ami, après tout.
— Quand nous serons à Guingamp, lui dit-elle,
trouvez-vous un endroit où demeurer et je persuaderai le duc de vous délivrer
un sauf-conduit. Même un moine errant peut avoir besoin d’un sauf-conduit du
duc de Bretagne.
Mais aucun moine ne portait l’arc, pour ne rien dire d’un
arc de guerre anglais, et Thomas ne savait que faire de son arme. Il répugnait
à l’abandonner, mais la vue de poutres calcinées dans la ferme abandonnée lui
donna une idée. Il détacha un morceau de bois noirci et le noua de haut en bas
à son arc détendu, si bien que l’ensemble ressemblait à un bâton de pèlerin. Il
se souvint d’un dominicain qui était passé à Hookton avec un bâton semblable.
Le moine, dont les cheveux étaient coupés si courts qu’il paraissait chauve,
avait prêché avec ardeur devant l’église jusqu’à ce que le père de Thomas se
lasse de ses imprécations et le remette sur son chemin. Thomas se disait qu’il
lui faudrait adopter la même allure que cet homme. Jeannette lui ayant suggéré
d’attacher des fleurs au bâton pour mieux dissimuler l’arc, il y fixa du trèfle
qui poussait dans les champs abandonnés.
Le chariot était tiré par un cheval maigre, pris à Lannion,
qui avançait vers le sud d’un pas lourd et incertain. En approchant de
Guingamp, les hommes d’armes devinrent encore plus prudents par crainte d’une
embuscade tendue par des arbalétriers depuis les bois qui bordaient la route
déserte. L’un des hommes possédait une corne de chasse dont il sonnait
constamment pour avertir l’ennemi de leur approche et indiquer qu’ils venaient
pacifiquement. Boltby, lui, portait un morceau d’étoffe blanche au bout de sa
lance. Il n’y eut aucune embuscade mais, à peu de distance de Guingamp, ils aperçurent
un gué où attendaient un groupe de soldats ennemis. Deux hommes d’armes et une
dizaine d’arbalétriers, l’arme prête à tirer, s’avancèrent. Boltby appela
Thomas :
— Parle-leur, ordonna-t-il.
— Qu’est-ce que je leur dis ? demanda Thomas
nerveusement.
— Pour l’amour du Christ, donne-leur une bénédiction et
dis-leur que nous sommes ici en paix.
Le cœur battant et la bouche sèche, Thomas s’avança sur la
route. La robe noire lui battait les chevilles. Il fit signe aux
arbalétriers :
— Abaissez vos armes, dit-il en français, abaissez vos
armes, les Anglais viennent en paix.
L’un des cavaliers piqua vers lui. Son écu portait la même
hermine que celle des hommes du duc Jean, mais les partisans du duc Charles
l’avaient entourée d’une couronne bleue ornée de fleurs de lys.
— Qui êtes-vous, mon père ? demanda le cavalier.
Thomas ouvrit la bouche pour répondre mais aucun mot ne
vint. Il resta coi devant le cavalier. L’homme portait des moustaches rousses
et avait d’étranges yeux jaunes. Un gaillard peu commode, pensa Thomas
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