La lanterne des morts
cartes, parler du pays ou discuter de la guerre en fumant dans une ambiance agréable. L'accès de cette cantine, et même du camp, était interdit aux habituels marchands qui y venaient en général acheter les prises de guerre des soldats: dans la 123 e de marine, le pillage était interdit. Enfin, considérant le sérieux légendaire de Marie-Jeanne, il n’était nul besoin des visites des officiers de santé car on ne pouvait redouter de sa part qu’elle propage des maladies vénériennes.
Les marins aimaient aussi se retrouver à la marmite où l’on mangeait par escouade. Une nourriture peu variée à base de riz, de viande et d’un pain aux trois quarts froment pour un quart de seigle. Prise de pitié, Marie-Jeanne enseigna à ses protégés les ruses de l’infanterie. À sept heures du matin, après avoir creusé un fourneau dans la terre, on allumait, la marmite contenant beaucoup d’eau. À mesure que le bouillon diminuait, on le remplaçait par des pois, des pommes de terre et des poireaux en y ajoutant du sel. Après quoi, recueillant le bouillon, on y trempait son pain tandis que dans une autre casserole au fond tapissé de graisse, on mettait à rissoler des tranches d’oignons très fines, y ajoutant les légumes et un peu de bouillon. On mangeait vers onze heures et conservait la viande pour le soir en la faisant réchauffer dans de l’eau salée et poivrée.
En trois semaines, avec quinze jours d’avance sur les prévisions, les marins s’étaient acclimatés, affrontant déjà de petites unités royalistes.
À la grande surprise des populations vendéennes, qui affichaient pourtant leur hostilité, les marins, lors des activités de patrouille et des perquisitions faisaient preuve de la plus exquise courtoisie. Pas le moindre vol, tenue irréprochable avec les femmes.
Les nouvelles allaient vite, en Vendée, et la 123 e demi-brigade «Liberté, liberté chérie» était partout beaucoup mieux reçue que les troupes de ligne ou «les colonnes infernales» du général Turreau, absolument haïes. Les marins y gagnaient, sans toujours le savoir. Ainsi, ils ne perdirent aucune de leurs montures avec ces horribles pièges à loups qui coupaient les jambes des chevaux, pièges souvent disposés par des femmes et des enfants.
En trois semaines, et malgré leur inexpérience, les marins avaient admirablement manœuvré.
À peine l’armée Blacfort avait-elle quitté celle du généralissime Stofflet qu’elle fut bousculée sur les deux ailes tandis que la 123 e demi-brigade lui faisait face.
Retraitant avec un certain talent, Blacfort parvint à marche forcée, et souvent de nuit, à gagner la forêt de Vouvant… ce qui n’échappa pas à Valencey d’Adana, rusé et infatigable, dont la réputation de chasseur d’élite gagnait toutes les troupes de l’Ouest.
Valencey d’Adana l’y laissa souffler deux jours avant d’y envoyer deux régiments de ligne et un parti de dragons qui l’en délogèrent sous le regard impassible de la 123 e qui demeura l’arme au pied, à la grande surprise des royalistes.
Blacfort sentait bien qu’on le poussait au sud mais il ne pouvait rien là contre. S'étant dégagé, il tâta des défenses de Fontenay-le-Comte. Mais la ville s’avérant hérissée de canons, il dut renoncer et sauf à se glisser entre Niort et les marais, Blacfort se trouvait dans une situation délicate.
Il opta pour les marais, certains de ses hommes en ayant une bonne connaissance.
Le général vendéen éprouvait une aversion profonde pour le marais poitevin humide où les moustiques vous harcèlent et la comtesse Marie-Charlotte de Juignet-Tallouart ne manquait pas de s’en plaindre plus souvent qu’à son tour.
Malgré l’avis contraire de certains de ses officiers, Blacfort traversa hâtivement les marais, ayant repéré l’endroit où il pourrait tenir les Bleus en échec: l’immense forêt de Chizé-Aulnay. Près de trente kilomètres de long sur une largeur atteignant parfois dix kilomètres.
– Un sanctuaire!… ne cessait-il de répéter à ses officiers ignorant que, depuis le début, Valencey d’Adana le poussait vers cette forêt que ses éclaireurs mayas et bravos arpentaient en tous sens depuis des mois, s’y déplaçant les yeux fermés…
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Traversant le marais poitevin dans sa partie Est, Blacfort en sortit à hauteur de Saint-Hilaire-La-Palud. Un choix habile de ses conseillers et éclaireurs. En effet, il pouvait ainsi se faufiler très
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