La lanterne des morts
flotte anglaise.
Bientôt, avec un bel ensemble, l’escadre de l’amiral Villaret de Joyeuse modifia sa route de quarante-cinq degrés pour s’en aller rencontrer les Anglais tandis que le convoi, tels des moutons pressés par des loups, se resserrait pour tenter de rallier Brest afin d’échapper à un affreux massacre.
La Terpsichore était déjà loin.
Les amiraux de George III, et particulièrement Richard Howe, ancien premier lord de l’Amirauté, se frottaient les mains, ayant recueilli des renseignements d’un perfide bateau de pêche anglais que Villaret de Joyeuse avait eu la grande faiblesse de ne pas couler.
Cent dix-sept navires marchands!… Et, pour les défendre, l’escadre française de l’Atlantique, mal entraînée, mal équipée, vétuste!… Leur «saleté de République», partout aux abois, avait délaissé sa marine: l’Angleterre n’était point pour le pardon des fautes, surtout lorsqu’il s’agissait de la France haïe.
Victoire observait Valencey d’Adana, le découvrant toujours plus intimement. Dans l’urgence, il avait comme aboyé ses questions aux aérostatiers. Celle-ci passée, et tandis qu’on allait au combat, Valencey d’Adana fit préparer des chocolats chauds et des uniformes secs pour les deux hommes avec lesquels il parlait familièrement, les ayant déjà rencontrés à Meudon.
Victoire se rappelait parfaitement cette visite à Meudon où était installée une compagnie d’aérostatiers. Elle se souvenait des explications sur ces ballons sphériques de taffetas caoutchouté, ce qui les rendait imperméables. Elle revoyait les installations: filet, nacelle, soupapes, sacs de lest et baromètre. Et se souvenait de cette anecdote: les Français, inventeurs du ballon aérostat grâce aux frères Montgolfier, avaient réussi en 1785 la première traversée aérienne de la Manche. Au retour, se posant en catastrophe dans un champ, des paysans leur avaient tiré dessus aux cris de: «À mort la bête du diable!»
«Digne des Vendéens…» songea-t-elle.
Mais ce qu’elle admirait, c’était cette manière extraordinaire qu’avait Joachim d’anticiper: arrivant enfin d’Amérique en France, ayant eu vent de cette invention, cette idée de l’aller voir de près puis de l’utiliser dans ces circonstances dès lors que le Comité de salut public fit appel à lui. Prévoir si loin 1 …
Valencey d’Adana fit réunir l’équipage.
Tous l’écoutaient, silencieux.
– Citoyens, nous allons livrer la plus rude de nos batailles. Cette fois, il ne s’agit pas de couler l’ennemi, surtout pas, mais de le mettre en situation de ne pouvoir combattre. Il faut toucher les gouvernails, les mâtures, la barre et le commandement. Leurs navires peuvent bien flotter du moment qu’ils titubent et tournent sur eux-mêmes. Le convoi doit passer à tout prix: chaque minute gagnée, chaque seconde, c’est une chance pour ces cent dix-sept navires de rallier Brest. Vive la République une et indivisible!… Vive la nation!
– Vive la nation et merde au roi d’Angleterre!… répondit l’équipage d’une seule voix.
Aussitôt, on lança le branle-bas de combat et chacun gagna son poste. L'artillerie étant appelée à jouer un rôle de premier plan, Guillaume de Lamorville demanda et obtint de Valencey d’Adana le concours d’une dizaine de grenadiers du lieutenant Hyppolite pour renforcer la batterie tribord: on ne serait jamais trop à préparer les boulets et approvisionner les pièces.
Et la flotte anglaise apparut, telle une forêt de navires couvrant la mer. En ordre de bataille, elle formait la ligne et courait bâbord amure. Aussitôt, Valencey d’Adana vira de bord lof pour lof en prenant un cap qui lui permettait de remonter la ligne en course parallèle du côté où, sous l’effet du vent, les navires anglais gîtant légèrement se trouvaient gênés dans leurs tirs, certains capitaines ordonnant de fermer les batteries basses afin que la mer ne s’y engouffre pas. Les batteries basses, précisément là où, sur les navires d’importance, se trouvaient les pièces de gros calibre.
Remontant toute la ligne anglaise, Valencey d’Adana visait un but précis: se montrer. Il n’ignorait pas que la présence de la légendaire Terpsichore dans ce combat, présence tout à fait inattendue, ruinerait l’enthousiasme de nombre de marins ennemis, les rappelant à des souvenirs qu’ils eussent préféré oublier, surtout à l’instant de la
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