La lanterne des morts

bataille.
    Quelques navires ouvrirent le feu sur la frégate mais l’effet fut contraire car se trouvant hors de portée, donnant l’impression de défiler aussi vite qu’un cheval au galop, La Terpsichore semblait conjuguer invulnérabilité et vitesse.
    Un capitaine anglais à perruque poudrée ironisa bien sur «la danseuse» mais il ne fit rire que lui, s’attirant des regards consternés.
    Comme souvent à l’arrière de la ligne régnait un certain désordre: on était là pour suivre, pas pour combattre.
    Arrivé à l’extrémité de la ligne, Valencey d’Adana fit virer de bord en remontant le vent. Le passage lui avait permis de repérer ses proies.
    La première victime fut une corvette trop intrépide, l’ Exceller , démâtée avant de rien pouvoir tenter. Deux ravitailleurs armés en auxiliaire furent touchés au gouvernail et perdus pour la suite, le Roll of Honour et le Valiant Heart . Deux frégates hors d’âge qui traînaient elles aussi à l’arrière firent face courageusement, la Highclere et la Nothern Trick . Elles aussi furent touchées au gouvernail.
    Valencey d’Adana modifia légèrement le cap pour rattraper en se jouant un navire auxiliaire armé et flambant neuf, le Pearl Cap , qui fut durement étrillé.
    Un deux-ponts ancien mais massif, le Fellow , releva le défi et se dérouta pour faire cesser ce carnage dans l’arrière-garde anglaise . Misant sur sa vitesse et sa souplesse, La Terpsichore évita une bordée, vira adroitement après avoir feint de le poursuivre pour combattre bord sur bord et toute sa batterie tribord fit feu. Le gouvernail pulvérisé, le Fellow partit à la dérive.
    Avisant un navire-hôpital, le Seagram , Valencey d’Adana le démâta des deux tiers à hauteur de la jonction entre bas-mât et hune, prenant grand soin d’épargner l’équipage.
    En revanche, le commandant de La Terpsichore laissa filer une jolie corvette, celle-ci accomplissant exactement ce qu’il espérait lui voir faire. Très rapide, elle remonta la ligne anglaise où, agitant ses pavillons et usant des «gueuloirs», elle communiqua une nouvelle qui glaça la flotte anglaise: en ce qui parut vingt minutes, La Terpsichore venait de mettre hors de combat neuf navires de la Royal Navy.
    La frégate répétitrice du navire amiral fit confirmer et, sur le vaisseau du commandant en chef, on reçut clair et net le message.
    L'amiral anglais Howe réfléchit.
    Il ne pouvait laisser agir ainsi La Terpsichore qui semait la panique dans la flotte britannique.
    En outre, l’escadre de l’amiral Villaret de Joyeuse venait d’entrer au contact de la Royal Navy et les Français, malgré leur infériorité, ouvraient déjà un feu d’enfer sur l’avant-garde. Il n’était donc absolument pas envisageable d’être attaqué à la fois sur l’avant et les arrières.
    Il prit donc une décision de haute importance: en finir une fois pour toutes avec La Terpsichore . À cette fin, il dérouta deux de ses plus puissants navires, et les plus modernes. Au reçu des ordres, un trois-ponts et un deux-ponts abandonnèrent la ligne, virant vent arrière lof pour lof par la contremarche.
    L'amiral se sentait de bonne humeur. Il pensait avoir le temps d’exterminer l’escadre française de l’Atlantique pendant que ses deux «tueurs» en finiraient avec La Terpsichore . Cela achevé, en se pressant, la Royal Navy fondrait sur les cent dix-sept navires marchands avant qu’ils n’atteignent Brest.
    Et le peuple de France crèverait de faim.
    Une perspective qui le mit de bonne humeur.
    1 Des aérostats furent utilisés avec succès comme observatoires militaires lors de la bataille de Fleurus. Mais le général Jourdan, ne songeant qu’à sa propre gloire, s’ingénia à en minimiser l’importance. Napoléon n’y crut pas davantage…

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    Le trois-ponts, agressif et certain de vaincre, s’appelait Highlands Wedding . Le deux-ponts avait pour nom le Venture.
    Il paraissait bien évident que La Terpsichore pouvait leur échapper, les gros bâtiments ne cherchant pas même à rivaliser sur le chapitre de la vitesse.
    Mais Valencey d’Adana connaissait assez les Anglais pour savoir qu’il ne les pourrait berner longtemps. S'approcher, esquiver, les entraîner plus loin, il tiendrait vingt minutes puis les capitaines de la Royal Navy, comprenant son jeu, rebrousseraient chemin pour renforcer la ligne anglaise.
    Se glisser entre les deux mastodontes pour canonner des deux bords