La lanterne des morts
fille!
– À l’étage!
Marie Toute Troussée fut bientôt amenée, vêtue d’une chemise légère qu’on revêt pour la nuit.
L'officier chouan, émerveillé, gronda:
– Nul n’y touche ou gare au général-comte de Blacfort.
Mais, lors de la marche menant à la forêt, il eut soin de se trouver derrière elle afin de se réserver le spectacle de ses fesses qui ondulaient à chaque pas.
Blacfort se retint de gifler l’officier chouan, craignant de se les mettre tous à dos.
L'orage venait d’éclater, le tonnerre roulait tel le son du canon, les éclairs illuminaient comme en plein jour. De grosses gouttes dégoulinaient sur les uniformes.
– Je ne peux pas croire cela mais plutôt qu’ils vous attendaient.
L'officier secoua la tête.
– Impossible. C'était une patrouille de dix hommes. En cas de piège, ils eussent été plus nombreux. Ils semblèrent aussi surpris que nous de nous rencontrer mais cet Américain était enragé à libérer la putain.
– Et pourquoi eurent-ils l’avantage?
– Ce sont des militaires, ils avancent le fusil chargé et le tiennent à la main. Tous firent mouche. Puis ils sortirent leurs courts sabres tels que pour couper des cannes à sucre. S'ajoutant à leurs grands bonnets de poils et au fait qu’ils fussent nègres, avec un capitaine nègre et ce colonel américain… Mes hommes sont des paysans bretons, ils n’ont jamais vu de nègres, ils ont pensé à des diables noirs: ils s’enfuirent et certains courent encore vers la Bretagne.
Blacfort sentit l’inutilité de poursuivre plus avant, aussi donna-t-il l’ordre d’aller au repos.
On aviserait demain.
Près de trois mille hommes sursautèrent avant de s’abandonner à la panique tant la chose paraissait impossible: on les canonnait!
Les officiers reconnurent le son et la cadence de tir rapide du canon inventé par le général-ingénieur et inspecteur de l’artillerie Vaquette de Gribeauval. Un canon devenu la terreur des champs de bataille, trois fois plus rapide que tous les modèles existants et qui faisait de l’artillerie française la meilleure du monde.
Un fait surtout stupéfiait les Vendéens: la forêt était impénétrable aux canons. Admettre cela, qu’on pût y amener silencieusement des pièces d’artillerie, était impossible.
Instinctivement, les Vendéens refluèrent vers leur fortin, pâle imitation des installations du camp de la 123 e , les paysans ne pouvant rivaliser avec des charpentiers et menuisiers de marine.
L'artillerie républicaine, une vingtaine de pièces, insulta les dehors de la place mais, sans doute gênés par les arbres, l’orage et une pluie épouvantable, les hommes n’endommagèrent que légèrement l’édifice.
Blacfort estima que leur angle de tir, trop à gauche, condamnait les canonniers à ne faire feu que sur un groupe de tentes, toujours le même, sans jamais pouvoir corriger cette trajectoire et atteindre leur objectif, le fortin. Malgré les dommages subis, il s’en réjouit en maugréant:
– Eh oui, Joachim, on ne fait pas toujours ce que l’on veut!
Le tir cessa brusquement.
Les marins souffraient. Dans le vent et la tempête, même à dix par canon, la tâche semblait inhumaine. On ne savait plus si le visage ruisselait de pluie ou de sueur. Les uniformes de drap bleu marine s’alourdissaient, les tricornes ruisselaient comme des gouttières. Les éclairs révélaient des visages contractés, des traits tirés par l’effort et les regards, un certain effroi: entre les marins en retraite tirant, poussant les canons, et les trois mille Vendéens, il n’existait plus qu’une faible arrière-garde combattante. Si elle se trouvait balayée, les artilleurs seraient crucifiés sur leurs pièces sans même avoir le temps de les enclouer.
Par chance, tous avaient bien en mémoire le trajet de l’aller, mais alors les choses paraissaient plus simples. Une approche lente et silencieuse, aucune peur qui vous tenaille, des arbres marqués d’une croix blanche et de loin en loin un Maya ou un Bravo indiquant la direction du geste. Le retour, au contraire, s’effectuait dans la hâte, certes sans panique mais en toute urgence quand les canons, la fatigue aidant, semblaient s’être alourdis. À diverses peurs s’ajoutait la crainte de se perdre: un véritable chemin existait, zigzaguant adroitement dans la végétation et le réseau d’arbres de la forêt et si parfois on avançait de justesse, les roues frôlant les troncs, on
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