La lanterne des morts
Bastille (voir p. 115).
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D’attaque surprise, il ne fut point. Même privé des services du courageux Saint-Eulay, Valencey d’Adana disposait d’un autre moyen d’information: ses guetteurs indiens, par ailleurs inégalables coureurs des bois.
Le camp retranché républicain se tenait en permanence en état de semi-alerte, cinq à dix minutes suffisant pour passer à l’échelon supérieur, l’alerte générale.
Cependant, il fallait sauver les apparences et feindre la surprise. À cet effet, des ordres précis avaient été donnés et leur application répétée.
Peut-être insuffisamment. Aux dépens de la République et de la 123 e demi-brigade.
Débouchant de la forêt sur un front de près de deux cents mètres, les Vendéens attaquèrent en hurlant.
Les canonniers républicains, la mort dans l’âme, exécutèrent les ordres: une pièce sur quatre seulement faisait feu, il fallait imprimer aux tirs un léger flou. Tirs trop longs, trop courts, au but. Pour des hommes habitués à faire mouche du premier coup, lesquels en outre avaient depuis longtemps pris tous leurs repères, la consigne était sévère.
Les Vendéens, gagnés par la confiance, franchirent les fossés en sautant et, laissant les contrevallations derrière eux, traversèrent le glacis sans ralentir leur course.
Derrière la contrescarpe, les marins républicains lâchèrent une unique mais très meurtrière salve avant de décrocher en sautant de leur tranchée pour se replier en courant et gagner la seconde ligne de fortifications.
Un réel enthousiasme gagna les Vendéens galvanisés par tout le terrain conquis et le repli des Bleus. Cependant, arrivés à la contrescarpe, ils se heurtèrent à un noyau de résistance qui les ralentit… et consterna Valencey d’Adana et son état-major.
Cinquante!… Ils étaient cinquante, tous des vétérans éprouvés d’un courage et d’une discipline légendaire. Tous Brestois, et têtus comme on le dit à tort ou à raison des Bretons: ceux-là ne se voulaient point replier devant «les brigands liberticides».
Ils se battaient admirablement, mais ployaient déjà sous le nombre.
Bouleversant tous ses plans, Valencey d’Adana prit immédiatement sa décision:
– Les deux compagnies de fusiliers au centre, la cavalerie sur l’aile gauche, les grenadiers et les volontaires étrangers sur l’aile droite. Intensifiez le tir d’artillerie: à présent, une pièce sur deux fait feu et tous les coups au but. Exécution!
Valencey d’Adana enfonça légèrement son tricorne, arma son pistolet et sortit son sabre du fourreau, signes que, malgré ses plans si méticuleusement mis au point, il allait tout ruiner pour sauver ses cinquante vétérans indisciplinés. Il ordonna:
– Tout le monde me suit à l’assaut: compagnie de réserve, escouade de protection et d’honneur, état-major, cuisiniers. Pour la République: vaincre ou mourir!
Tout cela était inutile, Valencey d’Adana le savait. Déjà, les éléments de pointe de l’armée Blacfort dépassaient la contrescarpe aux alentours jonchés de cadavres des leurs, mais aussi de ceux de dizaines de marins en uniformes bleus.
La cavalerie d'O'Shea, lancée à gauche, enfonça l’aile droite vendéenne. Les deux compagnies de fusiliers, au centre, avançaient régulièrement mais plus lentement. Enfin, les grenadiers noirs et les étrangers, où se trouvaient les meilleurs tireurs, ouvraient déjà un feu meurtrier.
Mais pour Valencey d’Adana, à n’en pas douter, tout cela serait insuffisant. Les vétérans ne seraient pas sauvés, la 123 e serait submergée.
Et c’est alors que les Vendéens tenaient la victoire, alors que suite à la désobéissance de cinquante vétérans le plan magnifique mais extrêmement sophistiqué du général républicain se retournait contre lui, c’est à cet instant qu’après un flottement, les Vendéens refluèrent et coururent vers la forêt, une quarantaine des leurs étant abattus pendant cette fuite.
Très sagement, bien formés par Valencey d’Adana, les officiers de marine se gardèrent d’entamer une poursuite, réoccupant contrevallations et contrescarpe où ils consolidèrent immédiatement leurs positions.
Le premier mouvement de Valencey d’Adana, contraire à tous ses principes qui consistaient à ne jamais mêler guerre et sentiments, fut de s’assurer que Victoire se trouvait saine et sauve.
Rassuré sur ce point, il fit battre le rappel, heureux que la
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