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La lanterne des morts

La lanterne des morts

Titel: La lanterne des morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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jour en l’esprit de la marquise qui jusqu’ici défendait sa vie avec intelligence mais sans grande conviction:
    – Il s’appelle Joachim de Niel, comte de Valencey et prince d’Adana. Capitaine de vaisseau, il commandait la frégate La Terpsichore .
    – La frégate rouge!… lança Bienvenu soudain très excité: mais je connais son histoire!… Mon frère l’aperçut de loin pendant la guerre au large de l’île de la Tortue, en les Caraïbes… Elle filait comme le vent!… Un capitaine invaincu, la terreur des Anglais, l’homme qui coula trois vaisseaux à trois ponts avec une frégate!
    – Et que le roi exila, sans doute pour le remercier d’avoir si glorieusement servi le pavillon à fleurs de lys.
    – Mon frère disait que c’était là une grande injustice et…
    Bienvenu s’arrêta net, sentant quelque chose de froid au bas de sa nuque. Il entendit sans surprise la voix de Jean-Baptiste:
    – Pose doucement tes deux pistolets sur le sol… Oui, comme cela… recule, à présent… C'est bon, retourne-toi.
    Bienvenu se retourna et chancela de surprise. Non pas en se voyant tenu en joue par Jean-Baptiste mais en apercevant une cocarde tricolore sur le vieux chapeau de feutre noir du jeune homme.
    – Tu rallies les patauds?… demanda Bienvenu, le ton plein d’amertume.
    – Je rallie la marquise et avec elle, la justice et la liberté. Quoi, valons-nous mieux que cette femme que toi et moi admirons depuis le début?… Tu n’as jamais voulu y penser, Bienvenu, mais si c’est une femme honnête et juste, ses idées le sont aussi. Que n’y as-tu réfléchi!
    – Toi, en tout cas, tu réfléchis trop. Apprendre à lire et à écrire avec le curé t’a tourné la tête car cela, ce n’est point pour nous autres.
    – Il suffit!… ordonna la marquise qui, une expression de souffrance sur le visage, tenta de se mettre debout sans y parvenir.
    Elle regarda les deux hommes tour à tour et poursuivit:
    – Vous vous aimez, je ne veux pas vous voir vous entre-tuer pour moi.
    Bienvenu haussa les épaules.
    – Oh, il peut bien baisser ses pistolets, allez, je ne lui ferai rien ni ne comptais vraiment vous livrer au comte de Blacfort. Et pouvais-je deviner que vous étiez si proche du prince de Valencey d’Adana?
    – Je n’ai plus de nouvelles mais je sais qu’il a rejoint la République dès le premier jour.
    – À voir l’ingratitude du roi, le prince, lui, y a quelque excuse.
    – Plus de nouvelles… répéta-t-elle en revoyant ce matin de mai 1789 où un marin de La Terpsichore lui apporta un bouquet d’ancolies, de roses et de pavots avec un ruban aux couleurs américaines.
    Avec discrétion, Jean-Baptiste passa ses pistolets dans son ceinturon pris sur le cadavre d’un soldat républicain. Puis, d’une voix grave:
    – Rejoins-nous, Bienvenu, c’est notre camp. Si même des aristocrates disent les hommes égaux et libres, pourquoi en douter, nous qui ne sommes rien?
    Bienvenu secoua la tête:
    – Tu parles à la vanvole 2 , toi tu es jeune, tu peux tout recommencer. Moi, je ne peux pas prendre les armes contre mes amis d’hier, même si vous avez mis le doute en moi et qu’il agit comme un venin.
    Il se força à sourire et, d’une voix un peu forcée:
    – Nous ne pouvons enterrer nos pays, pas de pelles, et nous casserions nos baïonnettes sur ce sol gelé plus dur que le bois. Couvrons-les au moins de branchages, puis je m’occuperai de madame la marquise… aux dépens de la République.
    Ainsi fut-il fait.
    Bienvenu et Jean-Baptiste parvinrent avec discrétion aux abords d’un camp républicain et y dérobèrent un «courtaud»: ainsi appelait-on un malheureux cheval auquel on avait coupé les oreilles et la queue.
    Puis vint l’instant des adieux.
    Bienvenu expliqua que la marquise et Jean-Baptiste, aux barrages républicains, devraient se dire frère et sœur, elle montée sur le courtaud et lui tenant la bride. Tel un père attentif – il n’avait que trente-deux ans! –, il prodigua mille conseils et fournit aux deux fugitifs des jeux de cocardes blanches et d’autres tricolores.
    Bienvenu rougit de la tête aux pieds lorsque Victoire l’embrassa sur chaque joue, puis elle ôta de son doigt un chaton et le lui remit.
    Bienvenu refusa avec hauteur, Victoire haussa le ton:
    – Gardez cette bague en souvenir de moi. Et lorsque vous trouverez femme, vendez ce chaton car vous pourrez alors acheter une ferme ou un moulin.
    Il observa la bague, une grosse émeraude

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