La lanterne des morts
battre, la peur leur ôta une partie de leurs moyens. En outre, le jeune officier étant bientôt tué, les républicains se retirèrent en laissant cinq cadavres.
Bienvenu, stupéfait, constata que trois de ses compagnons avaient eux aussi trouvé la mort si bien qu’il ne demeurait que Jean-Baptiste, âgé de dix-huit ans, et la marquise.
Effaré, le chef du petit groupe remarqua que la marquise, bien qu’elle n’émît aucune plainte, se trouvait blessée. Il se précipita. Il connaissait les gestes. Il constata, soulevant les vêtements avec pudeur, que la jeune femme souffrait de l’épaule et de la cuisse, ayant reçu deux violents coups de crosse.
Bienvenu tenta de la mettre debout, elle s’effondra.
L'homme, perplexe, s’assit sur le sol en face de la jeune femme qui lui sourit.
– Pauvre Bienvenu!… Il vous faudra donc me tuer. La chose n’est pas facile, je crois. Voulez-vous que je ferme les yeux pendant que vous m’ôtez la vie?
– Non, jamais!… protesta-t-il.
– Il le faudra cependant. Vous ne pouvez me transporter, pas davantage morte que vivante, aussi devrez-vous me couper la tête.
Il la regarda avec horreur.
– Mais, madame la marquise… Nous autres, Vendéens, ne coupons jamais la tête, surtout pas: nous haïssons la guillotine.
– J’entends bien, mais vous la pouvez couper au couteau. Après quoi, il serait avisé que vous mettiez ma tête dans un panier empli de sel et bien fermé afin qu’elle ne pourrisse pas et devienne méconnaissable.
– Du sel?… répéta Bienvenu, l’air égaré.
– Vous en trouverez chez les républicains ou du côté de Surgères qui fait spécialité de beurre salé. En outre, le froid glacé retardera la pourriture de ma tête et l’arrivée des vers. Ainsi, le général de Blacfort la reconnaissant vous donnera de bon cœur les cent louis qu’il offre en récompense.
Bienvenu ne pouvait détacher son regard de la jeune femme. Elle parlait de sa propre exécution comme le ferait une amie d’une bonne affaire et ce faisant, elle donnait au malheureux l’impression d’être le dernier des monstres, ce qu’il ne pensait point être en temps normal, étant accoutumé à se penser bon catholique.
La marquise insista:
– Allons, cessons de tergiverser!… Vingt de vos amis, tous de votre village, sont morts pour en arriver à cela qui est de me livrer à Blacfort. Je ne suis pas transportable sur votre dos et Jean-Baptiste est trop jeune. Feriez-vous une civière pour me transporter tous deux?… Ce serait folie, votre marche serait retardée, les marais deviendraient infranchissables et, lors d’une rencontre avec une patrouille semblable à celle de tout à l’heure, cette fois, vous auriez le dessous pour être tué tout de bon. Prenez le seul parti qui demeure et allez livrer ma tête à Blacfort.
Toutes ces choses dites ainsi en grande aisance par la marquise pénétraient avec lenteur l’esprit de Bienvenu lequel, après un long silence, demanda:
– Mais pourquoi le général-comte de Blacfort vous veut-il tuer?
– Parce que je me refuse à lui, ne voulant point l’épouser.
– Et vous refusez parce qu’il est partisan du roi et des prêtres?… demanda Bienvenu.
La marquise ne put retenir un bref, cascadant et fort joli petit rire avant de répondre:
– Blacfort n’a que faire du roi, il servirait aussi bien le Grand Turc s’il y trouvait son compte. Quant aux prêtres, n’en parlez pas même: il n’a aucune religion et, contrairement à moi, n’en eut jamais.
– C'est là de fort bonnes raisons pour ne point l’aimer.
La marquise secoua la tête d’un air désolé:
– Bienvenu, il me déplairait de vous tromper. La raison n’est pas là. Je connais Blacfort depuis l’enfance et ne l’ai jamais aimé car mon cœur appartenait à un autre. Cela, il ne le supportait pas. Il met cette guerre à profit pour régler de vieux comptes et s’en prend à moi car il craint l’homme que j’aime, même si celui-ci est bien loin sur les mers mais présent dans tous les cœurs de marins… et surtout dans le mien.
– Dans le cœur des marins?… demanda Bienvenu, très surpris.
– Oui, tous l’aiment et l’admirent.
– Qui est-il?
– Je doute que vous connaissiez les marins en votre village.
– Ne croyez point cela, madame la marquise, la mer n’est pas si loin de chez nous. Mon frère et trois du village furent dans la marine au temps de la guerre d’Amérique.
Un vague espoir se fit
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