La lanterne des morts
de son bannissement: une lettre de cachet signée Louis XVI. Pas un muscle de son visage n’avait bougé.
Il avait aussitôt réuni les équipages, ceux de La Terpsichore , de la corvette La Betelgeuse et du transport lourd L'Argonaute , leur annonçant qu’ils rentreraient sans lui.
Mouvements d’humeur, protestations, indignation. Mais si bien des hommes, mariés et pères de famille, se trouvaient dans l’obligation de rejoindre le royaume des lys, d’autres refusèrent de quitter leur capitaine.
Seuls L'Argonaute et La Betelgeuse rentrèrent en France, et il demeura suffisamment de marins pour constituer un équipage d’élite sur La Terpsichore .
La monarchie n’osa pas réclamer la restitution de la frégate accordée à l’exilé en compensation. Et pour solde de tout compte.
Il en fut donc ainsi. Mais si certains marins, atteints par le mal du pays ou l’âge, demandèrent à rentrer en France tous, peu après, envoyèrent leurs nombreux fils.
Dans sa base côtière proche des limites de l’ancien empire maya, Valencey d’Adana avait installé une société très libre, bien qu’on y observât le respect des grades: on ne pouvait les conserver en mer pour les abolir une fois à terre.
MM. Ly et Nordgren, respectivement spécialistes des poudres et des métaux, avaient rejoint leurs lointains pays mais le prince, concepteur d’une arme révolutionnaire, n’avait plus besoin de leur concours. En revanche, la coupure avec la France l’obligeait à ralentir la production de «requins à poudre» tels que les appelaient les Anglais. Certes, les Américains, éperdus de reconnaissance, offraient leurs matières premières mais précisément, Valencey d’Adana répugnait à les recevoir tant il désirait que son aide aux «Insurgents» demeurât désintéressée.
Pendant ces treize années d’exil, les marins devenus également éleveurs et agriculteurs n’éprouvèrent aucun problème pour se nourrir, vendant même une partie de leur production: café, sucre et indigo. Régulièrement, La Terpsichore prenait la mer et attaquait un navire anglais, toujours plus puissant qu’elle. On trouvait, sur ces navires, de superbes compléments pour la «base secrète». Les capitaines anglais vaincus rappelaient souvent avec aigreur que la France n’était plus en guerre avec George III. Avec une renversante mauvaise foi mais beaucoup de courtoisie, Valencey d’Adana répondait alors:
– Messieurs, à titre personnel, je n’en ai point fini avec la guerre et de tous, vous êtes mes adversaires préférés car nous avons vous et moi nos habitudes. Et puis, vous le savez sans doute: un gentilhomme bien né ne délaisse point sa vieille maîtresse.
Les marins français prirent femmes. Des Indiennes, des Noires libérées de l’esclavage, une trentaine d’Américaines, des Anglaises capturées qui n’entendirent point être «libérées» et rendues à l’Angleterre, une quarantaine de Canadiennes françaises, d’autres Françaises et des Créoles rencontrées à Port-aux-Princes ou Fort-Royal. Des poètes trouvèrent femmes sur des îles bien nommées pour rêver à l’amour telles Marie-Galante ou La Désirade. Enfin, certains officiers séduisirent des femmes de la haute société de la verdoyante Martinique lors de bals dans de somptueuses maisons décorées de branches d’orangers, de palmes et de lampions multicolores. Bref, il ne fut pas un homme parmi les deux cent vingt marins de La Terpsichore qui n’eût de compagne… sauf deux qui avaient du goût et de l’inclination l’un pour l’autre.
Treize ans après la guerre, l’équipage de La Terpsichore demeurait l’élite de l’élite de la marine française car, trois mois par an, la frégate partait en chasse et livrait de furieux combats si bien que les marins vivaient en état de guerre depuis plus de dix-sept ans.
Marins de combat, agriculteurs, éleveurs, soldats, ils se firent aussi maçons et avec l’aide des charpentiers du bord construisirent de très belles maisons pour loger leurs épouses… et quelques centaines d’enfants dont les premiers-nés étaient aujourd’hui mousses sur la frégate.
Une «commission exécutive» élue tenait lieu d’administration municipale de cette petite Babel où se voyaient toutes les races, où se rencontraient tous les métissages pourvu qu’ils soient issus de l’amour: la petite ville atteignait ses deux mille habitants.
Mahé avait épousé une fort jolie Canadienne
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