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La lanterne des morts

La lanterne des morts

Titel: La lanterne des morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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qui devrait se trouver là à tourner sur une broche, Victoire qu’il devait manger pour se l’approprier à jamais.
    – Bientôt!… Et moi seul la dévorerai!… Moi seul!… Dès sa capture qui ne saurait tarder!
    Il remarqua comme ceux de sa garde s’observaient en chiens de faïence, convoitant les mêmes morceaux: rien qui, venant d’êtres aussi abjects, ne saurait surprendre.
    Il songea à la très jolie amie de la reine Marie-Antoinette, la princesse de Lamballe. N’avait-on pas promené au bout d’une pique sa tête, et son sexe sur une autre, dans les rues de Paris?… Le monde entier connaissait cette histoire mais moins nombreux ceux qui savaient que ce sexe avait été mangé par un fort des halles.
    Au fond, dans l’horreur, il n’était plus rien à inventer.
    Ainsi songeait Blacfort qui ne poursuivit pas plus loin sa réflexion, en tout cas pas jusqu’à ceci: pourquoi de tout temps, en tous les camps, fut-il réservé aux femmes les pires outrages qui fussent jamais?
    Mais se poser pareille question, ce n’était déjà plus d’un Blacfort.

17
    Baignée et parfumée, autorisée par le baron de Penchemel à choisir dans la garde-robe de sa fille émigrée de fraîche date, Victoire de La Chesnaie de Flers apparut, superbe, au haut des marches.
    Vêtue d’une robe de soie couleur d’aube et de nacre, les jambes gainées de bas blancs et les pieds chaussés de souliers gris souris à hauts talons, elle ne rappelait que par la beauté de son visage la républicaine en haillons arrivée peu avant.
    Elle ne portait qu’un seul bijou, des boucles d’oreilles en rubis taillés en forme de cerises: Valencey d’Adana, rougissant, les lui avait offertes pour ses dix-huit ans et de ce beau jour au château, elle ne conservait pas de meilleur souvenir.
    Généreux, le baron de Penchemel avait proposé d’habiller Jean-Baptiste en empruntant dans la garde-robe de son fils, jeune officier actuellement aux armées du Nord. Malheureusement, le fils du baron était comme son père un rude gaillard aux larges épaules quand Jean-Baptiste, jeune homme très fluet, nageait dans pareils habits. Voyant le désappointement du pauvre garçon, on s’était déplacé vers la petite chambre du garde-chasse engagé dès les premiers jours dans la garde nationale puis dans un régiment de chasseurs à cheval.
    La tenue, quoique très bourgeoise, ravissait le jeune homme, lequel donnait pourtant l’impression d’arriver directement d’un enterrement: frac noir aux courts revers et basques évasées, culotte de casimir prise en des bas gris foncé, souliers à boucles d’acier. Bien que l’étiquette déconseillât de rester couvert en un lieu fermé, il s’était coiffé d’un chapeau rond gris anthracite un peu juste, ce qui lui conférait un aspect cocasse mais qu’importe puisqu’il respirait le bonheur.
    Le baron de Penchemel attendait ses invités au bas de l’escalier. Vêtu d’une redingote fauve, de culottes beiges, d’un gilet grenat assez court à la mode du temps, il tenait avec naturel une fine canne de jonc à pomme dorée.
    Il avait allumé les lustres de cristal et, recevant une marquise, le baron tentait de restaurer les fastes d’antan. Les généraux républicains de passage au gré des combats se communiquaient cette excellente adresse qu’ils en arrivaient presque à considérer comme une, ou plutôt leur hostellerie, l’armée ayant doté la cave et veillé aux approvisionnements.
    Seule ombre au tableau, la vieille servante ridée et très rechignée, mais elle accomplissait correctement son service et cuisinait fort bien.
    Vaisselle d’argent, porcelaine, faïence, serviettes d’un tissu délicat, après cette longue errance, cela tenait du rêve. Comme le souper qu’on servit: pain biagé aux deux couleurs alternant couche de froment et de seigle, soupe aux petits pois agrémentée de croûtons, pigeonneaux rôtis, poisson froid à la mayonnaise et petits gâteaux à la mode de Bretagne, légèrement salés, mais adoucis par une confiture de prunes.
    Dans des verres de cristal, on but du chypre, du malaga et du vin de Bordeaux.
    La marquise et le baron faisaient de louables efforts pour ne pas regarder Jean-Baptiste en perdition parmi tous ces couverts et ces plats inconnus en leur accommodement. Il suscitait même leur émotion, mangeant trop de ce délicieux pain qui le changeait tant du pain d’Alize de son village, un pain à la pâte serrée et compacte.

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