La lanterne des morts
ornés de peau de léopard ou de tigre avec crinière de cheval. De ceux-là, on avait fait un véritable massacre.
La guerre s’était terriblement durcie. Républicains fusillés contre les murs d’église, Vendéens massacrés au sabre qui recevaient la mort à genoux, en priant.
Avec l’écrasante supériorité que donne une nation en armes, la République comptait aujourd’hui un million d’hommes sous l’uniforme. Parmi les soldats envoyés en Vendée, on remarquait une majorité de volontaires parisiens très excités contre «les tyrans». Les Bleus savaient manier la pique, l’épée, le sabre. Ils connaissaient parfaitement l’armement et l’entretien des fusils, l’art de la poudre, l’utilisation du canon. S'ils dormaient en forêt, leurs sapeurs savaient dégarnir et abattre les arbustes qui précédemment permettaient l’approche et l’attaque surprise des Vendéens. Les soldats bleus tiraient deux coups à la minute avec d’excellents fusils d’une portée de deux cents mètres. Au moment des feux de salves, les officiers à présent expérimentés passaient dans la file, couchant leur sabre sur les fusils pointés trop haut. Terminée, l’époque où les républicains tiraient au-dessus des têtes. Les soldats de ligne avaient une concentration de feu si puissante, des salves si redoutables, que toutes les charges vendéennes s’y brisaient.
– N’importe, ils ne nous auront pas!… maugréa Blacfort sous le regard inquiet du curé Phébus Monteroux qui détestait chez son maître cette façon de passer d’un instant à l’autre de l’exaltation joyeuse au plus morne abattement.
Côté républicain, pratiquement plus de généraux issus de la noblesse car à Paris, on s’en méfiait. Au début, les troupes de l’Ouest avaient été commandées par Armand de Gontaut, duc de Lauzun, voici peu grand séducteur couvert de femmes à la cour du ci-devant roi Louis XVI. Un général aux bonnes manières, ancien de la guerre d’Amérique comme les généraux Pichegru ou Jourdan. Mais Lauzun avait été – à tort – accusé de trahison, jugé et guillotiné le 31 décembre 1793.
Aujourd’hui, le généralissime des armées de l’Ouest s’appelait Turreau. Un homme brutal. Il avait organisé son armée en six divisions fortes de deux colonnes chacune, les déjà tristement célèbres «colonnes infernales» qui s’étaient mises en marche le 21 janvier 1794, date anniversaire du premier anniversaire de l’exécution du roi.
Les douze colonnes de Turreau détruisaient tout sur leur passage, tuaient, violaient et pillaient.
Privés de leurs chefs respectueux des principes d’humanité tels La Rochejacquelein, d’Elbée, Bonchamps ou le prince de Talmont, les Vendéens, sous une direction à la morale incertaine, répondaient par un surcroît de violence et de cruauté en massacrant les Bleus avec d’odieux raffinements.
Un officier vendéen pourtant de vieille noblesse avait été fusillé sur ordre de Stofflet pour avoir osé dire ce que beaucoup pensaient: «Turreau et Blacfort, ce qu’ils haïssent en l’autre, c’est eux-mêmes.»
Blacfort entendit des pleurs de femme. Son œil s’alluma aussitôt, ses idées sombres disparurent sur l’instant, sa part d’animalité prit immédiatement le dessus.
Il s’approcha.
Une cantinière républicaine avait été capturée et, pour la seconde fois cette nuit, régalait les hommes de sa garde personnelle. Ni très jeune ni fort jolie, entièrement dénudée, elle était violée tour à tour par Chapeau-ciré, Pétion dit «Trempe-la-croûte», Gros-beauceron, Simon dit «la Douceur», Germain dit «Gros-blond» et Lefèvre dit «Va-de-bon-cœur». La mignonne et muette «Marie Toute Troussée» s’était éloignée, se rappelant sans doute son propre viol, tandis que «Marie Trois Tours» dite «la Grêlée» encourageait les hommes à grand renfort de mots orduriers.
Blacfort avait éloigné son régiment et sa cavalerie d’environ huit cents mètres. Assez proches pour arriver très vite en cas d’attaque surprise des Bleus, assez loin pour qu’ils n’assistent pas au spectacle que tous ces catholiques réprouvaient… et que cette fois, aucun «justicier» n’abrège le spectacle comme ce fut le cas lors du supplice de la baronne.
– Une cantinière!… murmura Blacfort, rêveur, tandis que l’abbé Monteroux se présentait pour profiter, lui aussi, de la malheureuse femme.
– Une cantinière, c’est
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