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La lanterne des morts

La lanterne des morts

Titel: La lanterne des morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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Propriétaires terriens, les deux aristocrates savaient l’importance du pain qui, dans les campagnes comme les villes, constituait la nourriture essentielle du peuple: on en consommait de cinq cents grammes à un kilo par jour et par personne!
    Sans que l’une ou l’autre partie l’eût prémédité, on reprit presque naturellement la conversation précédente concernant les tiraillements du baron entre révolution et monarchie constitutionnelle.
    Victoire bénéficiait d’une réelle culture, s’étant toujours voulue digne, sur ce chapitre, de celui qu’elle aimait, si bien qu’elle jugea rapidement de la justesse des idées du baron de Penchemel lorsqu’il évoquait les causes de la Révolution. Il parlait d’une voix amère mais d’un ton sec, comme s’il dressait l’acte d’accusation de la monarchie et que le feu roi fût à table avec eux:
    – Des incapables!… Dès 1785, la grande sécheresse, le bétail décimé, la peste ovine, le désastreux traité d’Éden ouvrant le marché à la concurrence anglaise. Quelles mesures?... Une messe à Notre-Dame!… L'année suivante, «L'Affaire du collier» offert par le cardinal de Rohan à la reine, tel un vieux barbon à une jeune putain, le scandale, les ragots, les calomnies… Quelles mesures?… On éloigne Rohan!… Même la guerre d’Amérique…
    La marquise l’interrompit d’un sourire:
    – Cette guerre était juste, baron!
    Le baron se leva à demi pour protester de sa bonne foi:
    – Mais j’en fus un chaud partisan!
    – Les Insurgents étaient si démunis!… Ceux qui allèrent en Amérique s’en étonnèrent: à Charleston, les rues n’étaient pas pavées et les maisons faites de bois. À Philadelphie comme à Boston on marchait dans la boue. Il fallait bien aider ces pauvres gens.
    Penchemel eut un rire amer:
    – Nous avons ravitaillé en permanence cinquante mille soldats américains, à quoi s’ajoutait l’entretien de notre propre armée et de notre flotte. Les Américains bénéficiaient d’un soutien financier illimité, cette guerre qu’ils n’auraient jamais gagnée sans la France a coûté deux milliards de livres, ruiné le Trésor public, provoqué la convocation des États généraux…
    – Et permis la Révolution!… coupa Victoire.
    Penchemel s’assit, accablé. Il enviait les certitudes de la marquise, son ton tranquille. Il reprit:
    – Tout pouvait, tout devait arriver mais pas ainsi. Pas cette lâcheté, cette mollesse… Au lieu de créer un impôt pour financer la guerre, Necker, très veule, fit sept emprunts, d’où le gouffre de la dette publique… Le port de Cherbourg inauguré en 1786 quand il eût été si utile cinq ans plus tôt. Et tout pareillement ainsi…
    – Baron, ce sont les événements qui révèlent les hommes à eux-mêmes… et aux autres. L'hiver 1788-89 fut le plus terrible depuis un siècle, l’incurie du régime apparut à tous. Mais ce ne fut pas l’hiver qui la créa, cette incurie: il la révéla.
    Le baron réfléchit puis hocha la tête:
    – Vous avez raison, grandement raison, madame.
    Cet hiver fut peut-être la première pierre de la Révolution. Le froid bloquait rivières et moulins. Près d’Angers, la Loire demeura gelée pendant deux mois. Les prix montèrent vertigineusement. Fait exceptionnel: le peuple affamé et mourant de froid attaquait les convois de grains et de farine pourtant protégés par une armée incertaine qui fermait parfois les yeux. On pillait également les magasins. Dès le printemps 1789, des révoltes paysannes éclataient dans toute la France. Le prix du pain doubla. Partout, ce n’était que chômage et faillites. On refusait de payer les droits. Les braconnages s’accompagnaient de meurtres et d’incendies. On mettait à sac les granges dimères et les stocks de champart. On commença à brûler des châteaux, on assassinait des nobles. L'armée était fatiguée de réprimer le peuple alors on conjura «la grande peur» par la création de milices bourgeoises, ce qui aggrava les choses. On vit un encouragement à la révolte dans Le Mariage de Figaro . Réveillon, un gros fabricant parisien, baissa les salaires. Le peuple incendia ses ateliers, ses magasins et son hôtel faubourg Saint-Antoine. Dans cette affaire, douze soldats furent tués et trois cents émeutiers: voilà qui fut bien plus sanglant que la prise de la Bastille. Sur le passage de Louis XVI, on ne criait plus «Vive le Roi!» mais «Misère!»
    On s’abîma

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