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La lanterne des morts

La lanterne des morts

Titel: La lanterne des morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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l’arrivée des Bleus?
    – J’ai vu tirer au canon, il faut charger, bourrer, pointer, s’apprêter, tirer… Entre la forêt et la cour d’honneur du château, il y a trois cents mètres! Impossible qu’ils se réunissent si vite, qu’ils réagissent avec une telle promptitude de sorte qu’ils soient en ordre de combat pour recevoir un adversaire qu’on n’attendait pas et qui, s’il investit bien un lieu hostile, doit sans doute arriver au pas de charge. Qu’en penses-tu?
    – Je pense que tout cela est vrai, sauf s’ils attendaient les républicains. Mais depuis les grandes défaites, ni le généralissime Stofflet ni le général de Blacfort n’agissent ainsi. Ils ont choisi une guerre de harcèlement, des coups de main, or un château sans douves ni remparts comme celui-ci est un lieu exposé qu’on peut cerner et incendier. Les Bleus connaissent ces façons-là et ils les ont bien souvent employées.
    – Il faudrait remonter là-haut.
    – C'est fort imprudent, madame la… citoyenne. Le baron l’a dit avec fermeté: «Je viendrai vous rechercher, ne bougez surtout pas»… Dieu seul sait ce que nous trouverions là-haut.
    La marquise sembla soudain abattue, défaite:
    – Il l’a dit, en effet, et pourtant, j’ai la certitude que je devrais monter… Je ne sais quelle force m’y pousse mais il faut que je remonte.
    Jean-Baptiste barra l’accès à l’escalier.
    – Je vous en prie, madame, vous pourriez le payer de votre vie et pour quel avantage?
    Victoire baissa la tête, résignée.
    À peine le baron de Penchemel lui avait-il parlé des deux canons de Blacfort et dit que celui-ci les devait venir chercher, Valencey d’Adana prit ses dispositions.
    Les pièces, placées devant la façade à une dizaine de mètres l’une de l’autre, étaient prêtes à l’emploi: la première servie par Valencey d’Adana, le commodore O'Shea et La Mellerie; la seconde par Mahé, Saint-Frégant et Dumesnil.
    Si les marins sont redoutables dans les combats au sabre en raison des nombreux abordages et corps à corps sans pitié sur le pont des navires, la raison d’être des vaisseaux de guerre demeure l’artillerie. C'est elle qui décide de l’issue des grandes batailles navales dans les flottes modernes, ainsi qu’on le vit pendant la guerre d’Indépendance américaine lorsque la marine française mit en déroute la Royal Navy lors de la grande victoire de la Chesapeake, dont on s’étonne qu’elle ne soit pas fêtée à considérer sa conséquence: la naissance des États-Unis.
    Or, avec La Terpsichore , Valencey d’Adana pouvait se flatter de posséder les meilleurs canonniers du monde.
    Vers la fin mars, en région vendéenne, l’aube tarde à venir, comme enchevêtrée dans le brouillard, et il faisait encore nuit lorsque la cinquantaine de Vendéens approcha.
    Munis de torches, ayant placé à l’arrière les chevaux qui devaient tirer les pièces, ils avançaient groupés, bruyants, sans méfiance. Et comment auraient-ils pu imaginer que derrière les deux canons se tenaient six hommes silencieux, aussi immobiles que des statues de granit, attentifs, ne perdant pas un seul de leurs gestes?
    Dès qu’il fut informé par le baron de Penchemel de l’existence des deux canons, Valencey d’Adana avait pris tout son temps pour placer les pièces, effectuer des relevés et régler son tir avec le plus grand soin.
    Il sortit son sabre de son fourreau et le leva. Ses yeux gris-vert, en cet instant crucial, ne reflétaient rien de particulier. Aucune tension, nulle passion ne les habitaient au point que pour qui se fût trouvé en situation – chose impossible! – d’observer ce regard, il eût été stupéfait d’y découvrir le vide de l’indifférence.
    Là résidait une des forces de Valencey d’Adana, cette manière de chasser tout sentiment lors de l’action pour ne voir que l’aspect technique des choses.
    Il abaissa son sabre en hurlant:
    – Feu!…
    Les deux pièces tirèrent en même temps, à la seconde près.
    Plus tard, on lira dans les yeux des cadavres un mélange de stupéfaction et de terreur car, avant de mourir, les Vendéens eurent la vision, à la lueur des coups de départ, de six officiers de marine en tricorne, épaulettes dorées et bottes noires, de pièces espacées sur un espace dégagé, d’ordre, de méthode et de force.
    Les canons n’étaient pas des pièces modernes tel le Gribeauval, mais le commandant de La Terpsichore en avait bien pris la

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