La lanterne des morts
promptement son sourire car la poigne de l’officier lui sembla d’acier:
– C'est une vieille coutume que j’applique là, monseigneur. L'anneau de paille au mariage doit rappeler à la pécheresse la fragilité des liens noués hors de notre très sainte mère l’Église.
Valencey d’Adana désigna le mari en le bousculant d’un rude coup d’épaule.
– Et lui, le crétin bellâtre, arrive-t-il vierge au mariage?
Sans attendre la réponse, Valencey d’Adana gifla le prêtre puis, ayant commencé semblable distribution, il poursuivit en giflant le mari et le maire qu’il apostropha:
– Où est ton épouse, vermine?
Le maire, qui portait sur sa joue de gros écureuil blanchâtre l’empreinte rouge de cinq doigts, désigna une femme de forte corpulence.
– Son anneau!… jeta le commandant de La Terpsichore à Dumesnil.
Celui-ci, ravi de la tournure des événements, se planta devant la femme:
– Eh bien, j’attends, citoyenne!
La femme tira sans conviction sur l’anneau:
– C'est que… voilà trop d’années que je l’ai au doigt, monsieur, et ne puis plus aujourd’hui le retirer.
Dumesnil, aux anges en ce lieu à eux dédié, se montra de fort bonne composition:
– La chose est sans gravité, citoyenne, j’ai remède à cela.
En un instant, la longue lame froide d’un poignard fut en sa main. Aussitôt, l’épouse du maire ôta son anneau tandis que Mahé constatait d’un ton calme et ironique:
– Tiens, un miracle!
Valencey d’Adana remit l’anneau d’or au prêtre en disant:
– Achèves-en!
Ce qui fut vite fait. Cependant, Valencey d’Adana fit rasseoir tout le monde:
– Et voici autre chose encore. En tant que commandant de vaisseau, j’ai autorité pour célébrer des mariages, aussi en voici un à ma façon qui s’ajoute à l’autre: par devant moi Valencey d’Adana, acceptes-tu, Céleste, de prendre Antonin pour époux?
– Oui, monsieur l’officier.
– Et toi, Antonin, acceptes-tu de prendre Céleste pour épouse?
– Mais… On m’avait dit…
La lame du poignard de Dumesnil chatouilla le bas-ventre du jeune homme.
– J’accepte.
– Vous êtes unis. Soyez heureux et servez toujours la République une et indivisible qui a chassé les despotes et les brigands couronnés.
Il se tourna vers les fidèles:
– Tous, ici, me répondez sur votre tête que ce mariage sera heureux. Toi!… Toi!… Et surtout toi!… dit-il en désignant tour à tour d’un doigt impérieux le curé, le maire et le mari.
Quant à ce dernier, Dumesnil lui piqua doucement le gras du menton.
– Tu réponds de son bonheur sur tes couilles, citoyen!
Ils sortirent dans un silence absolu et, tandis qu’ils s’entretenaient sur la conduite à tenir, Valencey d’Adana répugnant à ensevelir La Mellerie et Saint-Frégant en un lieu si hostile, les paroissiens quittèrent l’église et se dispersèrent telle une volée de moineaux.
Céleste s’approcha de Valencey d’Adana.
– Merci, monseigneur, mais je ne mérite point tant de bonté.
– Et moi je dis que si, citoyenne. Ah ça, voudrais-tu donc me contrarier, toi aussi?… demanda-t-il en feignant un emportement dont elle ne fut pas dupe.
Il reprit:
– Mais peut-être peux-tu à ton tour m’aider… N’est-il point de village plus accueillant à la République?
– À deux lieues d’ici, monseigneur, aussi bleu et pataud que celui-ci est blanc et royaliste.
Peu après, Valencey d’Adana donna trois ordres. Dumesnil entra chez le boulanger, saisit un pain long de six livres et un rond de huit.
La main sur la poignée de son sabre, l’air haineux, il s’enquit du prix en crachant littéralement ses mots.
On les lui offrit avec empressement.
O'Shea repéra dans une grange un chariot à plate-forme. Le propriétaire se montra si désagréable que l’Américain ne le paya point et réquisitionna l’engin. Il y attela son propre cheval et celui de l’officier vendéen blessé et épargné.
Quant à Mahé, exécutant le troisième ordre, il se rendit chez le maire et saisit d’autorité deux grands drapeaux tricolores en précisant:
– Puisque tu n’en as point l’usage, je m’en vais les reprendre aux araignées…
C'est vers une heure de l’après-midi qu’ils arrivèrent dans un village ami où hommes et femmes, stupéfaits, se découvrirent sur leur passage.
Au pas lent de son cheval, Valencey d’Adana allait en tête, suivi de Mahé. Dumesnil fermait la marche, serrant de près le
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