La lanterne des morts
jour cette invitation en mon château.
– Avec un réel plaisir!… dit-il en voyant arriver une vingtaine d’hommes du village.
Il soupira. Il fallait rouvrir la fosse et recouvrir les corps des cinquante-deux Vendéens de chaux vive afin d’éviter puanteur et risques d’épidémie.
Pour lui éviter ce désagrément, M. de Penchemel invita la marquise à une longue promenade, prétextant de montrer ses terres.
On le trouva enfin, contre le mur d’une petite église. Fusillé, et encore attaché à un brancard, le corps de La Mellerie n’avait pas subi les outrages de celui de M. de Saint-Frégant.
La bouche, pourtant, était sanglante. En y regardant mieux, on s’aperçut que la langue était coupée. On coucha le brancard et dénoua les cordes. Valencey d’Adana ferma les yeux de La Mellerie et on palpa son cadavre. Le dos était brisé.
– Il s’est coupé la langue lui-même, ils devaient le torturer en frappant son dos brisé pour le faire parler!… dit tristement O'Shea.
Cette technique, qui impliquait un grand courage, était employée par les agents américains capturés par les Anglais. Pour ne pas parler sous la torture, l’agent tirait la langue le plus loin qu’il était possible et se donnait un violent coup de poing sous la mâchoire. La langue était coupée nette, mais il y fallait de l’héroïsme.
On plaça le corps de La Mellerie en travers du cheval de Mahé, puis les quatre hommes pénétrèrent dans le village tout proche au pas lent de leurs chevaux dont deux soutenaient des cadavres.
Un silence profond les accueillit. Portes et fenêtres se fermaient sur leur passage. Aucun drapeau tricolore, pas la moindre décoration signalant quelque attachement à la République.
Au bruit des sabots, un jeune officier vendéen, écharpe blanche autour de la taille, sortit d’une maison d’un air joyeux.
Saisissant un des quatre pistolets passés dans sa ceinture, Valencey d’Adana fut le plus rapide: sa balle fit éclater le genou droit du jeune homme qui s’effondra aussitôt.
De cette manière unique que les Français ne tentaient pas même d’imiter, l’Américain John O'Shea sauta de cheval, désarma l’officier et plaça le canon de son pistolet sur la tempe du Vendéen.
Il gisait dans la boue, grimaçant de douleur. La froideur des quatre officiers à cocardes tricolores, à laquelle s’ajoutait l’impression de force qui émanait d’eux, balaya sa résolution première de ne les point aider, et tout au contraire de les égarer si on le questionnait.
Il expliqua avec beaucoup de détails la chute de cheval de La Mellerie, le retour surprenant de Saint-Frégant, sabre à la main, et qu’il avait été tué sans souffrir de plusieurs coups de sabres. Gêné, il affirma que les mutilations étaient l’œuvre de «paysans grossiers». Sur la mort de La Mellerie, il affirma que celui-ci avait crié: «Vive la République!… Vive la nation!…» avant de se couper lui-même la langue. Il prétendit ne pas être au courant de tortures…
Dumesnil, sortant de la maison où se trouvait l’officier vendéen peu auparavant, poussa devant lui une jeune paysanne assez belle mais mal mise et très craintive.
– C'est la raison de ta présence dans cette maison?… demanda Valencey d’Adana d’une voix froide.
– Je me suis attardé ici, persuadé de rattraper les autres car mon cheval est très rapide.
Il changea de ton, soudain artificieusement joyeux et ajouta veulement en désignant la jeune fille:
– Elle a un fort beau cul mais il est très malpropre.
Paroles malheureuses qui ratèrent leur effet, Valencey d’Adana et Mahé échangeant un regard. Ils n’aimaient pas qu’on parle ainsi des femmes et si, pour apaiser ses sens, Valencey d’Adana avait connu jadis quelques rares et brèves aventures avec des serveuses il les avait traitées toujours, même en public, avec respect et les plus grands égards.
– Toi, c’est ton âme qui est malpropre!… répondit Mahé d’un ton qui ne dissimulait pas sa colère.
– Combien êtes-vous?… D’où venez-vous?… Où allez-vous?…
Les trois questions de Valencey d’Adana claquèrent tandis qu'O'Shea augmentait la pression de son arme sur la tempe de l’officier.
– Me laisserez-vous la vie?
– Tu sais comme moi que c’est impossible, tu connais à présent beaucoup trop de choses. Mais tu pourras choisir ta mort et nous respecterons ton corps, comme à notre habitude.
– Alors je ne parlerai
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