La lanterne des morts

qu’il n’aime pas assister aux mises à mort et déteste ceux qui s’y rendent par plaisir.
    – Tiens, tiens… Pourquoi a-t-il été voir Hébert mettre la tête dans la lucarne?
    – Précisément. Il parut gêné quand je lui reprochai de contempler pareil spectacle. Il me répondit étrangement: «Hébert est un des principaux chefs de la Révolution, je le dois.»
    Gréville sourit.
    – Rien d’étrange en cette affaire. Le gouvernement anglais est assez subtil, ayant compris que Robespierre et les siens devaient se passer des ces ultrarévolutionnaires tel Hébert qui pensait qu’on ne guillotinait jamais assez… les voici servis, au reste… Maintenant, il est face à Danton et ses députés dits «les Indulgents» pour lesquels on guillotine trop et qui pensent que la Révolution doit cesser. C'est le second face-à-face que tous attendent. Ton Dawson est habile.
    – Je comprends en effet mieux son intérêt… Il n’empêche, la cérémonie lui lève le cœur.
    – Explique-toi.
    Elle hésita, puis:
    – Je crois que Francis doit écrire un rapport sur les exécutions, j’ai surpris des notes en ce sens. Il a été voir le tribunal révolutionnaire dans la grande chambre du palais et sait que de là, on descend les condamnés à la Conciergerie. Il a noté que les aides de Sanson échancrent les cols de chemise et coupent les cheveux sur la nuque, les revendant aux perruquiers lorsqu’il s’agit de cheveux de femme. Il sait que les condamnés traversent la salle du Guichet et sortent du greffe par la cour de Mai. Il a remarqué que tondus, dépouillés, mains derrière le dos, on les pousse rudement dans les charrettes qui mènent au lieu d’exécution sous les huées de la foule et de ce qu’il nomme «les furies de la guillotine». Il note tout. Il a même été repérer les prisons.
    – Lesquelles?… s’enquit Gréville.
    – Outre la Conciergerie près le Palais de justice, le Luxembourg et cet ancien couvent…
    – Sainte-Pélagie?
    – Voilà. Il note également les déplacements de la guillotine à travers Paris, d’un quartier à l’autre.
    – À quoi penses-tu, citoyenne?
    Elle n’hésita pas:
    – Il ne s’y prendrait pas autrement s’il devait envisager une évasion, soustraire quelqu’un à la mort entre la prison et la guillotine.
    – Tu penses avec intelligence, citoyenne. Et ses notes révèlent-elles autre chose?
    – Des choses d’une grande variété, sans liens entre elles. Par exemple qu’à Paris et les communes circonvoisines, il existe trois mille moulins à eau et mille à vent. Il a d’ailleurs été voir sous prétexte de promenade ceux du Mont-Parnasse, de Montmartre et Monsouris.
    – Des dispositions à prendre en cas d’invasion anglaise pour affamer Paris. Il voit très loin.
    – Il a noté également que, malgré la Terreur, fêtes, bals, concerts et galas continuent à déployer leur luxe. Je… comprends mal.
    – C'est très avisé: il repère les corrompus, les pourris, ceux qu’on achète. Ce Dawson est décidément redoutable. Autre chose?
    – Il a noté que dans les ruelles, les odeurs d’oignons frits et de harengs qui pendent en chapelets aux étals des marchands ont remplacé les odeurs de pâtisserie fine et de poulets rôtis à la broche.
    – Il juge du moral de la population de Paris.
    – Je ne vois rien d’autre, citoyen, si ce n’est qu’il m’a fait un présent.
    Elle dégagea du col de sa robe une chaînette d’or soutenant une pierre.
    – Un bijou…
    Elle tira légèrement sur la chaîne pour contempler celui-ci:
    – Un médaillon en pierre polie de la Bastille avec en son milieu, vois-tu, le mot «Liberté» écrit à l’aide de petits diamants.
    – C'est un bien joli bijou et il est plaisant que cette luxueuse pierre de la Bastille t’ait été offerte par le chef des espions de George III d’Angleterre. Conserve ce cadeau, citoyenne, le service ne s’intéresse point à ces choses futiles.
    Ravie de ne point devoir se séparer de cet original joyau, elle se leva en même temps que Gréville qui la raccompagna.
    Lorsqu’il fut seul dans son bureau, le chef de la police secrète étendit ses pieds sur le secrétaire en bois précieux et croisa les mains derrière sa nuque en regardant le plafond.
    La qualité de son adversaire le flattait mais il ne s’y attarda pas, jugeant froidement des choses. Selon toutes apparences, Dawson se trouvait sur un sommet: la découverte, pour l’instant platonique, de