La lanterne des morts
l’amour, et une véritable moisson de renseignements.
Il fallait donc frapper très fort. Il appela un secrétaire et lui remit une liste de six noms, les agents français de Dawson.
– Qu’on arrête ces hommes et les mette au secret.
De nouveau seul, Gréville sourit et se frotta énergiquement les mains:
– Vous allez vous sentir soudain très seul, monsieur Dawson. Néanmoins, je vais vous laisser une porte entrouverte…
Il saisit un mince rapport et le feuilleta d’un doigt paresseux. Il y était question d’un Belge, capitaine d’un navire de commerce, nommé Van Eyck. Cet homme se trouvait être la pièce la plus précieuse du dispositif de Dawson en France car c’est lui qui, sous prétexte de cabotage, portait les rapports du maître-espion de France en Angleterre.
Au reste, il devait à ses allers-retours de la Belgique à Paris de s’être rendu suspect. Arrêté, le Belge avait été contraint de passer toute une journée à la barrière du «Trône renversé». On y avait installé la guillotine et il vit tomber trente têtes à la suite.
Depuis, Van Eyck travaillait pour Gréville, percevant toujours, cependant, ce que lui octroyait Dawson. Si bien que ses revenus se trouvaient doublés quand les risques, dans cette nation «amie» qu’était devenue la France de Gréville, n’existaient plus.
Gréville se leva, décidé à prendre un peu l’air en cette journée magnifique. Il coiffa son chapeau noir à cocarde tricolore et eut une pensée pour le général républicain Weismann lequel, selon une dépêche, venait d’être tué en Vendée.
Du coup, il songea à Valencey d’Adana, s’attendant à recevoir des nouvelles d’ici peu.
En quoi, pour une fois, il se trompait lourdement.
1 Guillotine.
30
FIN AVRIL 1794…
Valencey d’Adana et ses deux compagnons ne savaient plus s’ils croupissaient en cette infecte prison depuis trois ou quatre semaines, mais ils avaient tenu bon, ne livrant ni l’objet de leur mission, ni même leurs noms.
Une semaine auparavant, Jules Dumesnil, maître d’équipage sur La Terpsichore avait été condamné à mort pour «complot royaliste» et exécuté deux heures plus tard. Tuer le moins gradé pour faire un exemple, on pensait fléchir la résolution des trois autres quand on ne fit que la renforcer.
Mis au secret, coupés du monde, ils ne bénéficiaient que des très courtes visites des condamnés à mort, ceux auxquels il ne restait que quelques heures à vivre et qu’on plaçait en leur cellule par calcul.
Enfin, cette cellule donnait sur l’extérieur de la prison, très exactement au-dessus de la guillotine située sur une petite place: nul n’obligeait à y regarder, mais on entendait fatalement tomber le couperet.
Et tout cela en raison d’un fou furieux jouissant de pouvoirs exorbitants.
Les deux mains aux barreaux de sa cellule, Valencey d’Adana regardait sans le voir un aide du bourreau lequel, dans la cour, vérifiait les cales de la guillotine.
Des centaines de fois depuis son incarcération il avait revécu les événements sans jamais parvenir à les tout à fait comprendre. L'enterrement de Saint-Frégant et La Mellerie, des heures de route et, vers le soir, dans cette petite ville proche de Saumur, ce barrage de la garde nationale.
Des barrages, ils en avaient franchi des dizaines, aussi, lorsque l’officier commença à faire preuve de mauvaise volonté, Valencey d’Adana ne s’était pas ému, présentant ordre de mission et laissez-passer du Comité de salut public. Signé de la main de Saint-Just!
– Un faux, c’est bien évidemment un faux!… Vous êtes quatre ci-devant!
– Ton nom?… demanda Valencey d’Adana.
L'autre le toisa de ses yeux globuleux qui l’apparentaient aux reptiles:
– Beaupin, capitaine Beaupin, commandant la garde nationale de cette cité.
– Écarte-toi, citoyen Beaupin. Je suis capitaine de vaisseau, j’ai donc rang de colonel dans l’armée.
Avec cet ignoble sourire de gorgone qu’on lui vit souvent par la suite, Beaupin répondit:
– Oui, sans doute. Mais je ne fais pas que surveiller les routes: je suis aussi l’accusateur public au Tribunal révolutionnaire.
– C'est pour moi sans intérêt, je ne suis pas mis en accusation, tout de même?
– Tu l’es depuis une minute.
Surpris, le commandant de La Terpsichore reconsidéra ce nain qu’il tenait pour un bourgeois peureux mal déguisé en militaire. Il choisit la patience.
– Citoyen Beaupin, je
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