La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
qu’il
paye !
Et le populaire grondait.
– Voyez, s’entre-disaient les femmes, comme il a froid sous le
clair soleil luisant au ciel, chauffant ses cheveux blancs et sa
face déchirée par Toria.
– Et il tremble de douleur.
– C’est justice de Dieu.
– Et il se tient debout avec air lamentable.
– Voyez ses mains de meurtrier liées devant lui et saignantes à
cause des blessures du piège.
– Qu’il paye, qu’il paye ! criait Toria.
Lui dit, se lamentant :
– Je suis pauvre, laissez-moi.
Et chacun, voire même les juges, se gaussait, l’écoutant. Il
pleura par feinte, voulant les attendrir. Et les femmes
riaient.
Vu les indices suffisants à torture, il fut condamné à être mis
sur le banc jusques à ce qu’il avouât comment il tuait, d’où il
venait, où étaient les dépouilles des victimes et le lieu où il
cachait son or.
Etant en la chambre de géhenne, chaussé de houseaulx de cuir
neuf trop étroit, et le bailli lui demandant comment Satan lui
avait soufflé si noirs desseins et crimes tant abominables, il
répondit :
– Satan c’est moi, mon être de nature. Enfantelet déjà, mais de
laide apparence, inhabile à tous les exercices corporels, je fus
tenu pour niais par chacun et battu souventes fois. Garçon ni
fillette n’avait pitié. En mon adolescence, nulle ne voulut de moi,
même en payant. Alors je pris en haine froide tout être né de la
femme. Ce fut pourquoi je dénonçai Claes, aimé d’un chacun. Et
j’aimai uniquement Monnaie, qui fut ma mie blanche ou dorée :
à faire tuer Claes, je trouvai profit et plaisir. Après, il me
fallut plus qu’avant vivre comme loup, et je rêvai de mordre.
Passant par Brabant, j’y vis des gaufriers de ce pays et pensai que
l’un d’eux me serait bonne gueule de fer. Que ne vous tiens-je au
col, vous autres tigres, méchants, qui vous ébattez au supplice
d’un vieillard ! Je vous mordrais avec une plus grande joie
que je ne le fis au soudard et à la fillette. Car celle-là, quand
je la vis si mignonne, dormant sur le sable au soleil, tenant entre
les mains le sacquelet d’argent, j’eus amour et pitié ; mais,
me sentant trop vieux et ne la pouvant prendre, je la mordis…
Le bailli lui demandant où il demeurait, le poissonnier
répondit :
– À Ramskapelle, d’où je vais à Blanckenberghe, à Heyst, voire
jusque Knokke. Les dimanches et jours de kermesse, je fais des
gaufres à la façon de ceux de Brabant, dans tous les villages, avec
l’engin que voici. Il est toujours bien net et graissé. Et cette
nouveauté d’étranges pays fut bien reçue. S’il vous plaît d’en
savoir davantage et comment personne ne me pouvait reconnaître, je
vous dirai que le jour je me fardais la face et peignais en roux
mes cheveux. Quant à la peau de loup que vous montrez de votre
doigt cruel m’interrogeant, je vous dirai, vous défiant, qu’elle
vient de deux loups par moi tués dans les bois de Raveschoot et de
Maldeghem. Je n’eus qu’à coudre les peaux ensemble pour m’en
couvrir. Je la cachais en une caisse dans les dunes de Heyst ;
là sont aussi les vêtements par moi volés pour les vendre plus tard
en une bonne occasion.
– Ôtez-le du feu, dit le bailli.
Le bourreau obéit.
– Où est ton or ? dit encore le bailli.
– Le roi ne le saura point, répondit le poissonnier.
– Brûlez-le de plus près avec les chandelles ardentes, dit le
bailli. Approchez-le du feu.
Le bourreau obéit et le poissonnier cria :
– Je ne veux rien dire. J’ai parlé trop : vous me brûlerez.
Je ne suis point sorcier, pourquoi me replacer près du feu ?
Mes pieds saignent à force de brûlures. Je ne dirai rien. Pourquoi
plus près maintenant ? Ils saignent, vous dis-je, ils
saignent ; ces houseaulx sont des bottines de fer rouge. Mon
or ? hé bien, mon seul ami en ce monde il est… ôtez-moi du
feu, il est dans ma cave à Ramskapelle, dans une boite… laissez-le
moi, grâce et merci messieurs les juges ; maudit bourreau, ôte
les chandelles… Il me brûle davantage… il est dans une boîte à
double fond, enveloppé de laine, afin d’empêcher le bruit si l’on
secoue la boite ; maintenant, j’ai tout dit ;
ôtez-moi.
Quand il fut ôté devant le feu, il sourit méchamment.
Le bailli lui demandant pourquoi :
– C’est d’aise d’être délivré, répondit-il.
Le bailli lui dit :
– Nul ne te pria de laisser voir ton gaufrier endenté ?
Le poissonnier répondit :
– On le
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