La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
brimbeur
s’assit sur son séant au soleil, et se cura les dents de ses
ongles.
Quand les femmes archères aperçurent Ulenspiegel vêtu de son
costume de pèlerin, elles se mirent à danser en rond autour de lui,
disant :
– Bonjour, beau pèlerin ; viens-tu de loin, pèlerin
jeunet ?
Ulenspiegel répondit :
– Je viens de Flandre, beau pays abondant en fillettes
amoureuses.
Et il songeait à Nele mélancoliquement.
– Quel fut ton crime ? lui demandèrent-elles cessant leur
danse.
– Je n’oserais le confesser tant il est grand, dit-il. Mais il
est d’autres choses à moi qui ne sont point petites.
Elles de sourire et de demander pourquoi il devait voyager ainsi
avec le bourdon, la besace, les coquilles d’huîtres ?
– C’est, répondit-il, mentant un peu, pour avoir dit que les
messes des morts sont avantageuses aux prêtres.
– Elles leur rapportent des deniers sonnants, répondirent-elles,
mais elles sont avantageuses aux âmes du purgatoire.
– Je n’y étais point, répondit Ulenspiegel.
– Veux-tu manger avec nous, pèlerin ? lui dit l’archère la
plus mignonne.
– Je veux, dit-il, manger avec vous, te manger, toi et toutes
les autres tour à tour, car vous êtes des morceaux de roi plus
délicieux à croquer qu’ortolans, grives ou bécasses.
– Dieu te nourrisse, dirent-elles : c’est un gibier hors de
prix.
– Comme vous toutes, mignonnes, répondit-il.
– Voire, dirent-elles, mais nous ne sommes pas à vendre.
– Et à donner ? demanda-t-il.
– Oui, dirent-elles, des coups aux trop hardis. Et, s’il t’en
faut, nous te battrons comme un tas de grain.
– Je m’en abstiens, dit-il.
– Viens manger, dirent-elles.
Il les suivit dans la cour de l’hôtellerie, joyeux de voir
autour de lui ces faces fraîches. Soudain, il vit entrer dans la
cour, en grande cérémonie, avec drapeau, trompette, flûte et
tambourin, les Frères de la Bonne-Trogne portant grassement leur
joyeux nom de confrérie. Comme ils le considéraient curieusement,
les femmes leur dirent que c’était un pèlerin qu’elles avaient
ramassé sur le chemin, et que lui trouvant bonne trogne,
pareillement à leurs maris et fiancés, elles avaient voulu lui
faire partager leurs festins. Ceux-ci trouvèrent bon ce qu’elles
disaient, et l’un dit :
– Pèlerin pèlerinant, veux-tu pèleriner à travers sauces et
fricassées ?
– J’y aurai des bottes de sept lieues, répondit Ulenspiegel.
Comme il allait entrer avec eux dans la salle du festin, il
avisa, sur la route de Paris, douze aveugles qui cheminaient. Quand
ils passèrent devant lui, se plaignant de faim et de soif,
Ulenspiegel se dit qu’ils souperaient ce soir-là comme des rois,
aux dépens du doyen d’Uccle, en mémoire des messes des morts.
Il alla à eux et leur dit :
– Voici neuf florins, venez manger. Sentez-vous l’odeur des
fricassées ?
– Las ! dirent-ils, depuis une demi-heure, sans espoir.
– Vous mangerez, dit Ulenspiegel, ayant maintenant neuf florins.
Mais il ne les leur donna point.
– Béni sois-tu, dirent-ils.
Et conduits par Ulenspiegel, ils se mirent en rond autour d’une
petite table, tandis que les Frères de la Bonne-Trogne
s’attablaient à une grande avec leurs commères et fillettes.
Parlant avec une assurance de neuf florins :
– Hôte, dirent fièrement les aveugles, donne-nous à manger et à
boire ce que tu as de meilleur. L’hôte, qui avait entendu parler
des neuf florins, crut qu’ils étaient en leurs escarcelles et leur
demanda ce qu’ils voulaient.
Tous alors, parlant à la fois, s’écrièrent :
– Des pois au lard, un hochepot de bœuf, de veau, de mouton et
de poulet. – Les saucisses sont-elles faites pour les chiens ?
– Qui a flairé au passage des boudins noirs et blancs sans les
prendre au collet ? Je les voyais, hélas ! quand mes
pauvres yeux me servaient de chandelles. – Où sont les
koekebakken
au beurre d’Anderlecht ? Elles chantent
dans la poêle, succulentes, croquantes, génératrices de pintes
avalées. – Qui me mettra sous le nez des œufs au jambon ou du
jambon aux œufs, ces tendres frères amis de gueule ? – Où
êtes-vous
choesels
célestes et nageant, viandes fières, au
milieu de rognons de crêtes de coq, de ris de veau, de queues de
bœuf, de pieds de mouton, et force oignons, poivre, girofle,
muscade, le tout à l’étuvée et trois pintes de vin blanc pour la
sauce ? – Qui vous amènera vers moi, divines
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