La Légion Des Damnés
regagnâmes notre base d'opérations, la compagnie 5 avait perdu tous ses tanks et l'Oberst von Lindenau était mort. Brûlé.
Tout Kiev était en flammes.
Il n'y a pas de forme de combat plus susceptible de vous conduire rapidement à la démence que le combat de rues. Progressant ou reculant de porte en porte, on ne sait jamais ce qui peut arriver d'une seconde à l'autre, ni quelle fenêtre peut cacher un ennemi prêt à vous canarder, à vous flanquer une grenade, voire un simple bloc de pierre sur la gueule. Des balles sifflent dont on ne peut repérer le point d'origine, et qu'on est obligé de laisser passer stoïquement, caché derrière un mince lampadaire.
Plusieurs fois, nous dûmes évacuer une maison parce qu'elle s'était écroulée sous nos pas, nous infligeant des chutes à travers planchers et plafonds de trois ou quatre étages. Nous en venions même, occasionnellement, à de sévères corps à corps, à de brèves bagarres d'une extrême sauvagerie, au couteau, à la pelle de tranchée. Et pendant tout ce temps, la ville flambait, explosait, hurlait de ses milliers de voix égarées, dans une température ambiante de moins de 40 à 50°.
L'immense pont sur le Dniepr avait sauté. Seuls, émergeaient du fleuve quelques hérissons gigantesques de ferraille tordue. L'orgueil de la ville, le puissant émetteur de radio avec ses antennes d'acier, n'était plus qu'une masse de poutrelles et de câbles inextricablement emmêlés. Dans les vastes abattoirs gisaient des milliers de carcasses arrosées d'acide. Largement aspergées d'essence, flambaient comme d'énormes réchauds des centaines de tonnes de graines de tournesol et d'huile de millet. Les ateliers de montage de locomotives ressemblaient à des cimetières d'éléphants.
Au cours de la retraite, notre haine des SS éclata et s'exprima souvent de façon tangible, jusqu'à ce que nulle unité SS n'osât plus se déplacer, durant une offensive, avec des troupes ordinaires sur ses arrières. Il arriva plus d'une fois que des Russes et des Allemands, retranchés de part et d'autre d'une même rue, cessassent de s'entre-canarder à l'arrivée d'une unité SS, afin que les Allemands puissent exterminer en toute quiétude les porteurs de l'uniforme détesté. Le combat reprenait ensuite, entre soldats « honnêtes » de deux armées régulières.
Un matin, peu de temps avant l'aube, nous atteignîmes un secteur proche de Berditschev, où la bataille était imminente. Il y avait là, déjà, un régiment d'infanterie de réserve. N'ayant plus un seul tank, nous servions également d'infanterie.
Notre place, comme toujours, était à l'avant, dans le no man's land. Nous y creusâmes d'étroites tranchées individuelles, sur lesquelles pourraient passer les tanks russes sans trop de danger pour nous. La grosse astuce était qu'une fois que les chars auraient laissé derrière eux nos postes avancés, nous serions aux premières loges pour décimer leur infanterie avec nos lance-flammes, nos mitrailleuses, voire nos armes de corps à corps, baïonnettes et pelles de tranchée.
Derrière nous, nos grenadiers étaient soumis à un violent pilonnage. Des heures passèrent, tandis que le duel d'artillerie augmentait sans cesse d'intensité. Puis à trois heures, il y eut une brève accalmie, les tirs s'allongèrent et le barrage recula jusqu'au-delà de nos lignes, reprenant avec une égale virulence.
Le spectacle qui s'offrit à nos yeux faillit nous faire tourner de l'œil. Au sein du brouillard qui planait à ras de terre, fonçaient des hordes de T-34, et derrière elles montaient, baïonnette au canon, des masses compactes d'infanterie.
Brusquement, la nuit se fit dans mon trou et je reçus une petite avalanche de terre. Une transpiration glacée se mit à couler sur mon front. Mes genoux tremblaient. Puis un nouveau tank me passa sur la tête et encore un autre. Puis les mitrailleuses commencèrent à cracher, accompagnées par le grondement des canons. Cela signifiait que le duel était engagé entre les chars russes et nos grenadiers et canons antitanks.
J'hésitais encore à présenter ma tête au bord du trou, de peur, d'être décapité par un T-34 attardé, mais lorsque j'entendis crépiter la mitrailleuse la plus proche de la mienne, je me redressai lentement.
A moins de cinquante mètres de là, une mitrailleuse lourde s'était mise en batterie, avec une douzaine de biffins russes allongés autour d'elle. Je pointai mon lance-flammes,
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