La Légion Des Damnés
tank avait pu pénétrer dans sa grange. Il nous montra, ravi, un papier sur lequel était inscrit en langue allemande :
« Nous, équipage de l'engin, avons vendu cette boîte à sardines au fermier Peter Alexandrovitch en échange d'une vache, les deux bestioles étant en parfait état de fonctionnement.
Heil Hitler t
Et va te faire foutre, cher membre du Parti. » Dans presque toutes les fermes d'Ukraine, grandes ou petites, on pouvait s'attendre à découvrir une voiture ou un véhicule allemand d'un type quelconque.
La retraite de Kiev
La raison alléguée était qu'un SS Untersturmführer avait été tué à l'orée du hameau. A titre d'avertissement aux autres habitants de la région, le commandant SS avait ordonné la pendaison de tous les hommes et de toutes les femmes âgées de quatorze à soixante ans. Ils furent chargés dans des camions qui se placèrent, en marche arrière, sous des séries de nœuds coulants. Des SS leur passèrent les cordes autour du cou. Puis les camions redémarrèrent...
Un grondement agressif monta de nos rangs lorsque nous découvrîmes ce spectacle, d'ailleurs terminé. Les SS nous observèrent nerveusement et serrèrent plus fort leurs armes tandis que nos officiers nous faisaient accélérer la marche, pour éviter une bagarre générale.
L'antagonisme opposant l'armée aux SS était en train de se transformer en conflit ouvert. Himmler avait écrasé toute tentative de créer un « maquis » organisé hostile au régime dont il était le chien de garde, mais sa répression avait été, malgré tout, sans objet, car il n'avait pas identifié son ennemi. En fait, il avait écrasé des innocents. Son véritable ennemi — bien qu'évidemment il ne pût le savoir — était cette terreur qu'il croyait pouvoir utiliser à sa guise. Employée sans méthode, au petit bonheur, elle finit par causer sa perte. Car ce fut elle qui souleva la résistance allemande jusqu'à ce qu'elle devînt un maquis dont les chroniques n'ont jamais été ni ne seront jamais écrites, pour la bonne raison qu'il n'existe, nulle part, le moindre compte rendu de ses activités. Il ne s'agissait pas d'un mouvement organisé, mais d'un ensemble d'initiatives dispersées, aussi peu ostensibles, aussi fortuites, en apparence, que l'avait été la nôtre, quand nous avions liquidé Meier le pourceau.
Les Russes occupaient déjà la moitié de Kiev, lorsque nous arrivâmes en renfort. A l'intérieur de la ville, nous nous séparâmes en petits groupes de combat qui pénétrèrent indépendamment dans Kiev par divers itinéraires. Mon tank roulait juste derrière ceux de Porta et du Vieux. Nous descendîmes la Wosduchffotskoje, puis traversâmes une ligne de chemin de fer et longeâmes la rue Djakowa, dont toutes les maisons étaient occupées par les Allemands ; enfin, nous filâmes vers Pavolo, à l'extrémité nord de la ville. Louvoyant dans un dédale de ruelles et de passages étroits, nous atteignîmes, à l'aube, une vieille usine.
Dix-huit T-34 et cinq KW-2 étaient alignés dans la grande cour, flanqués de leurs équipages rangés au garde-à-vous pour l'appel du matin. L'apparition brutale de nos trois tanks, à moins de vingt mètres, les paralysa totalement.
J'écartai notre sous-off inexpérimenté de l'appareil de visée et canon, lance-flammes, mitrailleuses, entrèrent simultanément en action, Porta et le Vieux agissant, dans les deux autres tanks, avec la même promptitude automatique. Les soldats russes tombèrent comme des quilles, et dans l'espace de quelques minutes nous eûmes incendié et détruit les deux douzaines de tanks. Après ça, nous repartîmes pleins gaz, dans des rues de traverse, rencontrâmes une compagnie d'infanterie et la passâmes au lance-flammes, puis à la mitrailleuse, nos chenilles se chargeant d'écraser les quelques survivants.
Et la fête continua. Incendies, destructions, massacres. Une batterie antitank immobilisa le char du Vieux d'un obus dans les chenilles. Je contournai un pâté de maisons à toute vitesse, pour prendre par-derrière la batterie antitank. Inutile de gaspiller des munitions. Canons et servants, au nombre de huit, freinèrent à peine ma course. Mais déjà, ils avaient incendié le tank du Vieux et tué deux de ses hommes. Le Vieux me rejoignit dans mon char, et les deux autres grimpèrent avec Porta.
Toute la journée s'écoula ainsi. Epuisante, monotone, dans une tension permanente qui nous rendait à demi fous. Quand nous
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