La Légion Des Damnés
flammes, sifflant et rugissant plus fort que tous les démons de l'enfer, dans un tintamarre inconcevable qui semblait m'arracher, lentement, tous les nerfs. Plaqués au sol, nous hurlions et sanglotions d'épouvante. C'étaient les orgues de Staline, l'instrument de destruction et de démoralisation le plus terrifiant de tous les temps.
Après trente-six heures de combats acharnés, l'offensive russe faiblit, reflua. A la fin de la bataille, nous avions, les Russes et nous, regagné nos positions primitives.
Suivit un effroyable duel d'artillerie, un ouragan de six jours et six nuits qui fit chavirer de nombreuses raisons. Un petit bois fut rasé en deux heures, et d'une façon telle que plus rien n'indiquait, à la fin de la séance, qu'il y eût jamais eu un bois à cet endroit. Nous demeurions prostrés dans nos terriers, le regard vague et les yeux injectés de sang. Pas question de bavarder. Même en vociférant dans l'oreille de son voisin, il était impossible de se faire entendre.
Ce fut une fois de plus la vision de Porta et du Vieux qui m'empêcha de perdre la boule. Il me suffisait de les observer, impassibles au sein de cet enfer assourdissant, pour retrouver aussitôt mon calme. Le Vieux tétait sa bouffarde, et Porta jouait de la flûte, avec le chat Staline pelotonné sur ses genoux. Nul, pas même Porta, ne pouvait percevoir un traître son de ce qu'il jouait, mais il continuait toujours, avec un recueillement concentré, sans accorder la moindre attention au vacarme. Peut-être était-il parvenu à un tel degré de détachement qu'il pouvait réellement entendre ce qu'il jouait ?
Dans l'après-midi du quatrième jour, Von Barring apparut à l'entrée de notre gourbi. Il avait l'air plus malade que jamais. Le Vieux m'avait dit qu'il souffrait de dysenterie pernicieuse et devait passer le plus clair de son temps avec son pantalon roulé autour des genoux. Ses reins, aussi, fonctionnaient de plus en plus mal. Selon toutes les apparences, il ne ferait pas de vieux os.
Le papier qu'il nous remit portait ces mots :
« Il faut que nous arrivions à faire bouffer les hommes. J'ai envoyé quatre équipes, mais elles ne sont pas revenues. Vous êtes mon dernier espoir. »
Nous nous entre-regardâmes et regardâmes Von Barring effondré sur une caisse, la tête entre ses mains. Le Vieux haussa les épaules et fit un signe affirmatif. Von Barring lui donna également un rapport à transmettre, rapport signalant à notre Q.G. que tout notre dispositif téléphonique était en miettes.
Les bacs à nourriture sanglés sur le dos, nous partîmes à travers un paysage lunaire, constellé de cratères irréguliers. Une pluie de fer et de feu tombait incessamment du ciel noir. Les nuages étaient bas, menaçants et lourds. Le Vieux secoua la tête d'un air ennuyé. Porta acquiesça, le visage inexpressif, et nous continuâmes.
Il nous fallut six heures et demie pour traverser la zone pilonnée, qui s'étendait en profondeur sur quatre kilomètres, et sept heures pour revenir avec nos bacs remplis de fèves et de porc bouilli.
Nous bouffâmes à la roulante, avant de repartir, bâfrant et engloutissant jusqu'à ce que les cuistots eux-mêmes en eussent quelques scrupules. Remarquant qu'il fallait aussi penser à la soirée, Porta fourra dans chacune des poches de son froc un morceau de porc bouillant, tremblotant. Les bacs pleins pesaient une tonne, quand on nous les sangla, de nouveau, sur le râble. Porta remit Staline dans la poche spéciale qu'il avait cousue, à son intention, sur le côté de sa capote. Toujours satisfait de son sort, le matou rouquin observait le paysage, sa tête coiffée d'un képi dépassant tout juste le bord de la poche.
J'ai aussi combattu sous terre. Les Russes avaient commencé à miner nos positions. En collant l'oreille au sol de nos gourbis, nous pouvions entendre le toc... toc... toc... de leurs pics. Notre tâche fut donc, tout naturellement, de creuser d'autres boyaux, de massacrer leurs puisatiers, et de miner les positions russes.
Allongés dans une galerie, nous écoutions le martèlement lancinant des pics. Toc... toc... toc-
Soudain, silence. Avaient-ils terminé le boulot ? Allions-nous percevoir, dans quelques minutes, un grondement sourd qui nous enterrerait vivants ?
Nous attendîmes un quart d'heure, et c'est diablement long quand on guette, l'oreille tendue, et dans un silence de mort, un bruit bien déterminé, un bruit qui ne vient pas.
Nous attendîmes
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