La Légion Des Damnés
faciles à ingurgiter, et souffleraient à tour de rôle sur les mets trop chauds. Ceux qui auraient besoin d'être mastiqués, elles les mâcheraient au préalable, afin que je n'eusse pas à gaspiller mon énergie en vaines activités physiques.
— Et je suppose que l'équipe suivante serait chargée de te torcher le cul quand tu irais aux chiottes ? s'informa le Vieux du même ton raffiné.
— Vous avez lu la dernière lettre d'Asmus ? intervint Pluton. Si la moitié de ce qu'il dit est vrai, je veux bien me faire couper tout de suite un bras et les deux pattes. Il dit que ça lui fait plus mal depuis longtemps, d'ailleurs. Mais est-ce que vous vous rendez compte ? Le gogue portatif livré au plumard, avec une infirmière accorte pour vous remettre à neuf en cas d'accident! De la purée, du jambon, et deux œufs le dimanche ! Pas d'erreur, hein, les blessés, c'est bien eux qui ont le filon !
— Ouais. Il en a eu, une veine, cet Asmus! »
Paix séparée
LES Russes nous arrosaient de tracts et de pamphlets de propagande. L'un deux affirmait que le Führer était mort, et Staline gravement malade. Hitler avait été tué, la semaine précédente, par un général antinazi, mais ses acolytes gardaient jalousement le secret de sa mort, tandis que le Politburo cachait non moins soigneusement la maladie de Staline. L'appel suivant couronnait ce pamphlet :
Hommes des armées et des flottes russes et allemandes, unissez-vous pour édifier coude à coude une Russie et une Allemagne libres! Retournez vos armes contre vos vrais ennemis, les SS et les rats de la Gestapo, les assassins qui gardent les prisons, en Allemagne, et ne cherchent qu'à prolonger la guerre, les monstres qui aiment la guerre! Soldats allemands, rejetez le joug de l'esclavage ! N'attendez pas qu'il soit trop tard. Et vous, soldats de la sainte Russie ancestrale, abattez sans pitié les commissaires et les hommes de la G.P.U. ! Combien de temps encore vous laisserez-vous mener par ces brutes qui violent vos femmes, vos sœurs, vos fiancées pendant que vous versez votre sang sur le front ? Soldats des armées russes et allemandes! Arrêtez ces combats fratricides et retournez-vous, retournez vos armes contre les meurtriers des SS et de la G.P.UJ
L'ARMEE DE LA LIBERTE.
Ce pamphlet fit l'objet de discussions passionnées. Nous étions prêts à avaler n'importe quelle déclaration, si douteuse que pût en être la source, pourvu qu'elle annonçât la mort d'Adolf et l'approche du grand règlement de comptes. La révolution, pour nous, était imminente, et l'idée d'un échec ne nous effleurait même pas.
— D'abord, dit rêveusement Porta, il faudra nettoyer un peu tout ce gâchis pour rendre à Ivan quelque chose de net. Déblayer les rues, bien empiler les briques, qu'il n'ait qu'à balancer son flingue et empoigner la truelle. Reconstruire quelques ponts, aussi, que tout ça n'ait pas trop mauvaise gueule quand on s'en ira...
— Et chez nous ? s'enquit le Vieux, sarcastique. Tu crois que c'est les Gliches et les Ricains qui vont se charger d'empiler nos briques ?
— Faut jamais jurer de rien ! répliqua Porta d'un ton pénétré. D'ici qu'on se mette d'accord avec Ivan pour leur apprendre à vivre, y a pas tellement loin. Mais faudra ensuite que nos aviateurs aillent nettoyer ce qu'ils auront saccagé. Ce sera justice...
Pluton parla de la France, et de tous les autres pays dans lesquels nous avions aussi causé d'énormes dégâts qu'il faudrait bien réparer. Porta réfléchit un instant.
— Ça, on va pas manquer de boulot dans le proche avenir, mais y a une chose certaine : les officiers, les généraux, toute la clique, à la terrasse et au déblaiement, pioche en main I Goebbels, Gœring, Adolf, Himmler, Rosenberg et le restant de la brochette, au nettoyage du ghetto de Varsovie 1 Qu'ils en pleurent des larmes de sang...
Ces belles illusions ne durèrent que quelques jours. La guerre continuait, et sa fin n'était pas en vue. Transformée en bataillon d'infanterie, notre unité allait relever le 14 e Chasseurs, sur la rive du Donetz. Cette "relève" eut lieu dans un calme serein. Pas un seul coup de feu ne troublait la chaude quiétude de la nuit.
Perché sur le paquetage de Porta, dans sa nouvelle tenue de toile blanche, Staline arborait l'expression satisfaite du voyageur qui goûte intensément les multiples découvertes de l'existence quotidienne. Staline était le seul Obergefreiter de toute l'armée allemande
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